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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/475

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au milieu de populations de mœurs fort différentes ; mais elles étaient encore très éloignées de nous. Il était sage d’ailleurs, puisque nous n’aurions pu en aucun cas imposer par la force nos volontés aux mandarins, de nous assurer au moins la sympathie des indigènes par une conduite irréprochable et une discipline sévère.

Près de 3 degrés en latitude et 1 degré en longitude nous séparaient déjà de Crachè, ce village cambodgien où nous avions substitué les pirogues au navire à vapeur, et que nous considérions comme notre véritable point de départ. Les sinuosités du fleuve augmentaient encore la distance. Nous étions arrivés aux limites du Bas-Laos. Il ne me semble pas inutile, avant de quitter Ubône pour pénétrer dans le Laos moyen, de résumer en quelques mots les résultats acquis pendant la première partie du voyage. Ainsi qu’on a pu le remarquer déjà, ces résultats, en ce qui concerne les moyens d’utiliser le grand fleuve comme voie commerciale, sont malheureusement négatifs. Les difficultés qu’il oppose aux voyageurs commencent à partir de la frontière cambodgienne, difficultés sérieuses, pour ne pas dire insurmontables. Si l’on essayait jamais d’appliquer la vapeur à la navigation dans cette partie du Mékong, le voyage de retour serait certainement plein de périls. A Khon s’élève une barrière absolument infranchissable dans l’état actuel des lieux. Entre Khon et Bassac, les eaux sont libres et profondes ; mais le lit s’obstrue de nouveau à une courte distance de ce dernier point. Depuis l’embouchure de la rivière d’Ubône, que nous avons remontée jusqu’à Khemarat, c’est-à-dire sur un espace qui comprend à peu près les deux tiers de 1 degré de latitude, le Mékong n’est plus qu’un impétueux torrent dont les eaux se précipitent par un canal profond de plus de 100 mètres et à peine large de 60. La vérité commençait donc à s’imposer même aux plus optimistes. Des steamers ne sillonneraient jamais le Mékong comme ils sillonnent les Amazones et le Mississipi, Saïgon ne serait jamais relié aux provinces occidentales de la Chine par cette immense voie fluviale que le volume de ses eaux rend si puissante, mais qui semble n’être qu’un magnifique ouvrage inachevé. A d’autres points de vue, nos recherches avaient été moins stériles. Si les grandes perspectives se fermaient, s’il n’était pas vraisemblable que les produits du Setchuen et du Yunân vinssent jamais s’entreposer sur les places de la Basse-Cochinchine, il devenait certain du moins que le commerce du Bas-Laos tendait à se diriger vers Pnom-Penh, et qu’il n’existait, comme on paraissait le craindre à Saïgon, aucune dérivation forcée vers Bangkok. Les grands radeaux formés de bambous rassemblés, même les pirogues dirigées d’une main sûre par des marins hardis, tels sont les véhicules employés déjà pour transporter des balles de coton et de soie, des chargemens de riz et des