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frappant l’un contre l’autre, pour attirer l’attention publique, deux bambous sonores. Le mari, ne soupçonnant pas que des Français ne pouvaient manquer de s’amuser beaucoup de sa situation, faisait bonne contenance, et paraissait même fort réjoui. Le cas n’étant pas niable, la femme fut condamnée à payer 17 ticaux d’amende, moins de 60 francs, et son complice 29 ticaux ou 96 francs environ. En pareille occurrence, le mari peut à son gré garder sa femme ou bien la répudier. S’il opte pour ce dernier parti, il ne peut plus la reprendre avant dix ans ; mais l’amende payée par la coupable lui est adjugée, les juges empochent celle infligée à son rival. Dans l’affaire à laquelle nous assistions, le mari se hâta de répudier, et je compris alors la cause de sa satisfaction. Il avait donné, pour obtenir la main de sa femme, 4 ticaux et un buffle à la famille ; mais il y avait plusieurs années de cela : il recouvrait sa liberté, le droit d’entrer de nouveau en ménage et les moyens d’en payer les frais. Quelle fortune dans un pays où le climat est promptement mortel à la beauté ! — Tous les cas ne sont pas aussi favorables ; il peut se faire, par exemple, que la femme ne soit pas en mesure de payer. Elle reçoit alors deux coups de rotin par tical d’amende. Cette amende ne dépasse jamais 40 ticaux. Au Laos, pour un peu plus de 100 francs et à la condition de ne point appartenir à un mandarin, toute femme peut donc se passer ses fantaisies. Celles du mari ne sont nullement entravées par la loi, et la femme n’a qu’à fermer les yeux ou qu’à faire des économies pour se venger. Jadis la peine était plus sévère : une femme convaincue d’adultère donnait sa liberté en expiation de son crime, et devenait l’esclave de son mari. Sur ce point, la législation de l’ancien royaume du Tonkin poussait encore plus loin la rigueur : un mari qui surprenait sa femme en flagrant délit était autorisé, non pas à la tuer de ses mains, comme il l’est en quelque sorte chez nous, mais à lui couper les cheveux et à la mener en cet état devant le mandarin. Celui-ci la faisait jeter à un éléphant, dressé aux fonctions de bourreau, « lequel, après l’avoir enlevée avec sa trompe, la serrait avec tant de rage, puis la jetait par terre avec tant de violence, qu’il l’étouffait et la faisait mourir dans des tourmens inconcevables ; s’il s’apercevait qu’elle donnât encore quelque signe de vie, il la foulait aux pieds jusqu’à ce qu’elle fût écrasée et mise en pièces. » — Au Cambodge, l’éléphant est encore employé comme exécuteur des hautes-œuvres. J’en ai monté un qui, peu de jours auparavant, venait de percer de ses défenses le corps d’un criminel d’état attaché au tronc d’un arbre. La femme épousée la première, suivant certaines formalités, a seule les droits et le rang de femme légitime ; mais cette restriction ne rend pas Il polygamie moins florissante. « Comme il s’en trouve parmi nous, dit à ce sujet un ancien voyageur peu courtois, qui se plaisent à