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les instances du président du corps législatif qu’elle est devenue un ajournement indéfini. Le tiers-parti avait certes le droit de faire ses conditions, et il aurait pu même en faire de sérieuses dont personne n’aurait songé à s’étonner ; nous nous permettrons seulement de trouver que depuis quelques jours toutes les gaucheries ne viennent pas du côté du gouvernement seul. Assurément la prorogation du corps législatif n’a point ce caractère de coup d’état qu’on lui a prêté sous une première impression. Rien n’était plus simple que d’éviter pendant quelque temps des discussions irritantes devant un gouvernement en interrègne, en face de toutes les difficultés d’une reconstitution du pouvoir. Il n’est pas moins certain qu’une prorogation étendue au-delà de quelques jours, et lorsque plus de cinquante élections restent à vérifier, est un assez médiocre commencement. M. Schneider est parti du pied gauche quand il est allé proposer cet expédient à l’empereur. Ce n’est rien de grave, c’est une maladresse, c’est une malheureuse marque de timidité. Maintenant quel sera ce cabinet nouveau qui se prépare ? Pour le moment, les seuls membres de l’ancien ministère qui restent au pouvoir sont, à ce qu’il semble, M. de Forcade La Roquette, le maréchal Kiel, l’amiral Rigault de Genouilly, M. Magne ; les nouveaux ministres seraient, dit-on, M. Segris, M. Louvet, le prince de Latour d’Auvergne. Ce sont là des ministres éclairés, bien intentionnés, et M. de Forcade La Roquette a un esprit assez libéral et assez résolu pour donner une certaine vie, une certaine consistance à la combinaison nouvelle ; mais enfin, l’avènement du tiers-parti ne prend pas décidément un caractère à subjuguer du premier coup le pays. Ces membres du tiers-parti sont des esprits sensés, estimables, modérés, qui ont servi les idées libérales dans des temps difficiles et par des moyens conformes à leur nature. Il y a malheureusement à leur sujet dans le public la crainte vague qu’ils ne soient pas à la hauteur d’une situation hérissée d’embarras, et en général, avouons-le, ce qui fait la gravité de la crise actuelle, c’est bien moins la difficulté des choses que l’absence d’hommes capables 4e se mesurer avec les circonstances, de rallier les esprits en déroute, de diriger l’opinion. Il est vrai que, si ces hommes existaient, si on les voyait à l’œuvre, la crise n’existerait pas, et, si le gouvernement avait contribué à préparer par la liberté cette génération nouvelle d’hommes publics, il serait lui-même aujourd’hui à l’abri des ennuis qui l’assiègent.

Ce qui n’est point douteux pour le moment, c’est qu’on entre dans une période nouvelle où tout redevient possible. Les combinaisons ministérielles qui s’essaient devant nous réussiront ou ne réussiront pas, c’est une question de circonstance et de transition. Nous assistons pour notre part avec philosophie à ce spectacle. Le point essentiel, c’est qu’il y a désormais un terrain patiemment conquis où peuvent se rallier sincèrement les esprits libéraux qui vont droit à la réalité des choses, et ce terrain, qui ne pourrait plus être disputé au pays sans que tout fût