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ne sont pas des amis de l’Autriche qui ont conçu ce dessein; la mission de l’Autriche en est précisément le contre-pied. Les populations slaves, roumaines, magyares, qui se sont réunies volontairement sous le sceptre des Habsbourg au commencement du XVIe siècle, ont voulu se donner un chef pour se protéger contre les Turcs; aujourd’hui c’est contre l’ambition moscovite que l’Autriche a le devoir de protéger cette confédération naturelle, et l’Autriche la détruirait elle-même, l’Autriche renierait sa destinée, l’Autriche obligerait 10 millions de Slaves désespérés à invoquer le secours des Russes! Ce serait de la folie.

C’est ainsi que l’éloquent historien poursuivait de ses clameurs l’œuvre du dualisme à l’heure où ce n’était encore qu’un projet. Représentez-vous sa stupeur lorsqu’il apprend que ce projet, sérieusement débattu entre Vienne et Pesth, a toutes les chances possibles de réussir. Alors s’échappent de son âme une protestation et une menace. « En face de la situation qui se prépare, nous n’avons plus qu’un mot à dire : si l’on se décide à établir ce qui est le contraire de la mission de l’Autriche, si cet empire composé d’un assemblage de peuples et unique dans son genre, refusant d’accorder à tous les mêmes droits, organise la suprématie des uns sur les autres, si les Slaves, considérés comme une race inférieure, ne doivent plus être qu’une matière à gouvernement entre les mains des deux peuples dominateurs, alors la nature reprendra ses droits, une résistance inflexible changera l’esprit de paix en esprit de guerre, l’espérance en désespoir, et l’on verra s’élever des conflits, éclater des luttes dont nul ne saurait prévoir la direction, l’étendue et la fin. Le jour où le dualisme sera proclamé, oui, ce même jour, par une nécessité de nature irrésistible, enfantera le panslavisme sous sa forme la moins acceptable. Ce qui arrivera ensuite, le lecteur peut se le représenter à lui-même. Pour nous, Slaves, si nous envisageons l’avenir avec une juste douleur, nous l’attendons sans crainte. Nous existions avant l’Autriche, nous existerons après elle... Ma conscience ne me reprochera pas un jour de ne pas avoir, jusqu’à la dernière heure, signalé des dangers que tous mes concitoyens ne pouvaient prévoir avec la même précision, avec la même certitude. Dans ces conditions, c’eut été de ma part une lâcheté de ne pas prononcer l’avertissement suprême. »

L’avertissement suprême, c’est ce mot si expressif : « nous existions avant l’Autriche, nous existerons après elle. » Tout le système de M. Palaçky est dans cette formule. C’est à l’histoire même de l’Autriche que M. Palaçky emprunte son idéal de la mission de l’Autriche. Après l’extinction de sa dynastie nationale, après la mort de cette race des Prémysl qui avait produit saint Venceslas et