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le grand Ottocar, la Bohême avait demandé des souverains aux maisons princières des contrées voisines, tantôt aux rois de Pologne, tantôt à des archiducs allemands. Une seule fois elle se choisit un chef parmi ses plus glorieux enfans et lui donna la couronne ; c’est l’épisode extraordinaire du roi George de Podiebrad au XVe siècle. Or en 1526 la Bohême appela librement au trône l’archiduc d’Autriche Ferdinand, frère cadet de Charles-Quint, celui qui trente ans plus tard, après l’abdication du puissant monarque, devint empereur d’Allemagne sous le nom de Ferdinand Ier. Le moment était grave pour la Bohême. Le roi Louis (un Jagellon, petit-fils du roi de Pologne Casimir IV), qui régnait à la fois sur la Bohême et la Hongrie, venait de périr dans cette terrible journée de Mohacz qui avait mis les Magyars à la merci des Turcs. En face de l’invasion ottomane toujours plus menaçante, la Bohême comprit la nécessité d’une fédération énergique qui unirait ses forces contre l’ennemi commun. Elle fit donc appel à l’archiduc d’Autriche Ferdinand, et lui accorda la royauté de Bohême à titre héréditaire ; elle eut grand soin toutefois de réserver les droits de l’indépendance nationale. La Bohême ne se confondait pas avec les autres états de l’archiduc ; tout cela était nettement stipulé dans les pacta conventa dont Ferdinand Ier jura l’exécution en recevant la couronne des Prémysl. La détermination qu’avait prise la Bohême était si bien justifiée par les circonstances, que l’année suivante, en 1527, la Hongrie suivit exactement la même politique. Les Magyars, eux aussi, élurent librement roi de Hongrie l’archiduc Ferdinand, déjà roi de Bohême, en stipulant que les états de la couronne de Saint-Étienne ne se confondraient jamais avec les autres états du souverain. C’était, comme on le voit, une fédération où chaque peuple conservait son autonomie. Voilà la véritable Autriche, voilà son origine et sa mission dans le monde. Elle s’est formée au XVIe siècle pour défendre contre les Turcs des nations que leur isolement exposait à de grands périls ; ces mêmes nations, menacées aujourd’hui d’un autre péril par l’ambition moscovite, n’ont-elles pas tout intérêt à renouveler les pacta conventa du XVIe siècle, et, en les renouvelant dans les conditions plus précises du droit moderne, ne rendraient-elles pas à l’Europe libérale un immense service ? Telle est la doctrine de M. Palaçky. Si l’Autriche s’y refuse, elle se renie elle-même, elle s’abandonne, elle court à sa ruine, car l’Autriche a encore plus besoin de la Bohême que la Bohême n’a besoin de l’Autriche. Si la Bohème était poussée au désespoir, il se trouverait bien quelque puissance intéressée à recueillir ses cris de détresse. à y a d’autres Slaves dans le monde. Représentez-vous alors le déchirement de l’empire des Habsbourg, les Allemands de l’archiduché gravitant