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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/536

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Habsbourg, qu’il ne doutait pas du maintien de la monarchie, et son dernier mot était un cri d’espérance en même temps qu’une admonition. « Lorsque vous aurez compris que vos institutions fondées sur le mépris des Slaves ne sauraient durer, hâtez-vous, si vous voulez sauver l’Autriche, hâtez-vous de reconstruire la monarchie sur cette base : justice aux Slaves ! justice à tous ! »

Comment donc se fait-il que, trois mois après cette séance de la diète de Prague, au mois de juillet 1867, M. Palaçky, M. Rieger et leurs amis se soient rendus sans hésiter au congrès slave de Moscou? C’est que la protestation signée le 13 avril par tous les députés tchèques contre le dualisme austro-hongrois et le refus d’envoyer des représentans au Reichsrath cisleithanien avaient soulevé dans la presse austro-magyare des attaques qui dépassaient toute mesure. Devant ces déclamations acerbes, les plus modérés des Tchèques perdirent la tête. Ils crurent le moment venu de faire comprendre aux défenseurs du dualisme que les 16 millions de Slaves autrichiens avaient derrière eux une grande nation, une grande monarchie toute prête à profiter de leurs folies. Si j’explique par les faits la résolution des Tchèques de Bohême, ne croyez pas que je la veuille excuser. A des violences morales, les Tchèques avaient répondu par une violence morale. Cette application de la peine du talion était une faute politique des plus graves. Elle avait pour premier effet d’intervertir les rôles, et, au lieu de dénoncer à l’Europe l’injustice révoltante infligée à la Bohème, elle semblait prendre à tâche de la justifier. Dans tous les pays où l’invasion du panslavisme préoccupe les esprits clairvoyans, la démarche des Tchèques compromit immédiatement leur cause. C’est ainsi que la Revue des Deux Mondes jugea tout d’abord ce fâcheux épisode. Nous ne regrettons pas ce que nos collaborateurs ont écrit à ce sujet; ils étaient dans la vérité du point de vue occidental, et à leur tour ils donnaient un avertissement à ces hommes qui prétendaient avertir l’Europe en effrayant l’Autriche. La force des Tchèques est dans leur attache à l’esprit de l’Occident; c’est par leur culture occidentale qu’ils se séparent des Slaves de l’est et du nord, c’est par leurs idées philosophiques et religieuses, politiques et sociales, par leur communauté de principes avec l’Europe libérale qu’ils échapperont toujours, nous l’espérons, au gouffre du panslavisme; c’est donc vers l’Occident, non vers les Russes, qu’ils doivent se tourner, c’est à Paris et à Londres, non à Pétersbourg ou Moscou, qu’ils doivent chercher leur point d’appui. Les députés de la Bohême au congrès slave semblent avoir compris leur faute au moment même où ils la commettaient; on dirait que, prévoyant tout à coup les reproches de leurs amis de l’Occident, ils ont voulu réparer dans une