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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/537

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certaine mesure un acte si gravement impolitique. C’est ainsi que M. Rieger, au banquet de l’université de Moscou, répondant à je ne sais quelles paroles aventureuses sur l’unité des Slaves, protesta contre les agglomérations qui ne seraient que la promiscuité et le chaos. En dehors et au-dessus des questions de race, il y avait, disait-il, des nations constituées, des nations historiques, avec leurs souvenirs, leurs droits, leurs intérêts distincts; y renoncer serait un suicide. Il est probable que ces paroles ne furent pas très applaudies des Moscovites; elles ont du moins sauvé l’honneur des Tchèques auprès des publicistes de l’Occident, et je ne m’étonne pas qu’un écrivain anglais, dans le Westminster Review, ait signalé le caractère libéral et humain des discours de M. Rieger[1].

Cet épisode après tout n’a peut-être pas été inutile aux chefs de l’opinion publique en Bohême. Les esprits droits savent profiter de leurs fautes. Dans les commencemens de l’agitation tchèque, on parlait des races beaucoup plus que des nationalités; on opposait toujours l’élément slave à l’élément germanique, sans remarquer combien de telles formules prêtaient à l’équivoque. Ne serait-ce pas la réception même des Moscovites qui aurait ouvert les yeux aux députés bohémiens? Une chose certaine, c’est que dans ces deux dernières années l’argumentation des défenseurs de la Bohême est devenue bien autrement précise. Ce n’est plus au nom de telle ou telle race, c’est au nom des groupes véritablement historiques, au nom des peuples ayant leur vie propre et leur destinée individuelle, que la fédération est revendiquée. Le droit ne vient pas du sang, il vient de la tradition, c’est-à-dire du labeur des générations précédentes. Il n’y a qu’un état déjà constitué par les siècles qui puisse réclamer son autonomie. La nation bohème est un de ces états, comme la nation hongroise, comme les Allemands de l’archiduché, comme les Roumains de la Transylvanie, comme les Polonais de la Galicie, comme les Serbes-Croates de l’Illyrie. Ce principe simplifie bien des choses. Il reste encore assurément de graves difficultés à régler dans ce mélange de peuples qui compose l’Autriche; du moins, en ce qui concerne la lutte des Tchèques et des Allemands, un grand pas est fait vers la conciliation. S’il y a, par exemple, des hommes de race slave parmi les Allemands de l’archiduché (et on sait que le nombre en est considérable), l’histoire et

  1. We have perused the speeches at the various banquets and social gatherings, and on the whole have been struck with the enlightened, humane and temperate tone wich prevailed in those of the Czechs and other Slavons from Austria. Dr Rieger, in particular, spoke against over-centralization, asserting that only narrow or uneducated minds were dazzled by mere external grandeur... — Voyez l’article intitulé Dualism in Austria dans la Revue de Westminster du mois d’octobre 1867.