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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/538

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le sens commun veulent qu’ils appartiennent au groupe allemand de l’Autriche; pareillement les Allemands établis en Bohême appartiennent à la nation bohème : c’est par le même principe que les Slaves de Hongrie font partie de la nation hongroise, et que les Ruthènes de Galicie font partie de la nation polonaise. En un mot, le droit historique domine le droit du sang, et il n’appartient qu’à des nations de réclamer leur place dans la fédération future. La Bohême est-elle une nation? la Bohême n’a-t-elle pas été toujours un royaume distinct? la Bohême, en se donnant aux Habsbourg, n’a-t-elle pas toujours réservé ses droits? l’empereur d’Autriche n’a-t-il pas toujours été roi de Bohême comme il était roi de Hongrie? Tous les prédécesseurs de François-Joseph, excepté l’imprudent niveleur Joseph II, n’ont-ils pas renouvelé leur serment en recevant la couronne de saint Venceslas comme en recevant la couronne de saint Etienne? S’obstinera-t-on enfin à violer le droit chez les Tchèques après qu’on l’a reconnu chez les Magyars? Toute la question est là.

À cette question ainsi posée, trois réponses ont été faites, et toutes les trois dans le même sens, la première par des Allemands du royaume de Bohême, la seconde par des Allemands de Vienne, la troisième par des Magyars. Ce sont là, comme on voit, les trois catégories de personnes les plus directement intéressées dans le grand procès soulevé par les Tchèques. La réponse des Allemands de Bohême doit être citée avant les autres; c’est chez eux en effet qu’il y a eu de tout temps les passions les plus vives contre les Slaves, c’est sur eux que les centralistes de Vienne ont toujours compté pour repousser le système fédératif. Si donc les Allemands de Bohême font cause commune avec les Tchèques pour la revendication de l’autonomie nationale, n’est-ce pas là un symptôme des plus graves? Or voilà deux ans que les Tchèques, décidés à s’abstenir de tout acte qui impliquerait une adhésion quelconque au dualisme, refusent d’envoyer des représentans au Reichsrath cisleithanien, voilà deux ans qu’ils ont organisé avec autant de prudence que de fermeté une résistance passive véritablement formidable, et voilà deux ans aussi que, soit par la presse, soit en d’immenses meetings, ils ne cessent d’expliquer à tous la signification de cette résistance. Sur les points les plus importans de la Bohême, au pied des montagnes qui rappellent les grands souvenirs de la patrie, on a vu des rassemblemens qu’aucune salle n’aurait pu contenir. Il y avait là des orateurs à la voix retentissante et des auditoires de plusieurs milliers d’hommes. Les Allemands y venaient comme les Tchèques, car il ne s’agissait plus d’exalter une race aux dépens d’une autre race, il s’agissait de défendre les