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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/616

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armes lui demeurait contraire, si les Prussiens et les Autrichiens prenaient à leur tour parti avec les Russes, qu’adviendrait-il ? Épuisée par des guerres incessamment renouvelées, la France serait-elle en état de lutter seule contre tant d’ennemis ? Cette hypothèse de la chute du régime impérial, tristement entrevue au temps des prospérités par le dévoué Cambacérès, sourdement agitée dans de secrets conciliabules par le clairvoyant prince de Talleyrand depuis qu’il était tombé en disgrâce, s’offrait maintenant d’elle-même à tous les esprits : car c’est la conséquence des grandes catastrophes de poser tout à coup pour le vulgaire les questions abordées longtemps d’avance par les profonds politiques. Comment la masse entière des sujets de l’empereur envisageait-elle une pareille éventualité ? À cet égard, quelques distinctions sont à faire. Nul doute que la majorité des habitans de l’ancienne France ne repoussât avec horreur la perspective du triomphe des étrangers. Ce serait toutefois se tromper beaucoup que de prétendre qu’il en fût ainsi dans tous les départemens annexés par Napoléon à la suite de ses récentes conquêtes. Les populations du littoral génois, lésées dans leur commerce maritime, les Allemands de la rive gauche du Rhin, froissés dans leur nationalité, les Hollandais et les Flamands, blessés à la fois dans leurs sentimens patriotiques et dans leurs intérêts mercantiles, ne laissaient pas de trouver souverainement injuste l’obligation d’envoyer un si grand nombre de jeunes conscrits périr au loin afin d’assurer la domination d’un pays qui n’était point le leur. Pour ces Français de fraîche date, l’invasion, c’était plutôt la délivrance. Malheureusement ils n’étaient pas seuls à penser ainsi. Qu’on veuille bien songer quelle était à cette époque la condition du clergé dans toute l’étendue de l’empire, et particulièrement dans les provinces situées de l’autre côté des Alpes. Treize cardinaux dépouillés de la pourpre et retenus en prison sous la surveillance de la haute police, quantité de prélats réputés démissionnaires et transportés hors de leurs diocèses, des centaines de prêtres exilés en Corse, tous les couvens vides et dépouillés de leurs biens, le saint-père captif, Rome, le siège antique de la souveraineté pontificale, devenu le simple chef-lieu d’un département français, — voilà quel était le bilan du royaume d’Italie. Un grand nombre de sièges épiscopaux vacans et livrés à l’anarchie par le fait de la volonté impériale, trois membres du concile arrêtés, puis contraints à donner leur démission, un grand nombre de prêtres détenus au fort de Fenestrelle ou dans les prisons départementales, — telle était la part relativement restreinte des sévices exercés contre les ecclésiastiques de ce côté des monts. Et qu’importait après tout la nationalité primitive des contrées qui avaient été le théâtre de tant de