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de venir en aide par sa présence à son négociateur embarrassé ? Est-ce le noircir injustement que de lui prêter l’intention arrêtée d’arracher lui-même, s’il était nécessaire, cette réponse qu’il désirait si fort, mais que l’évêque de Nantes n’osait exiger immédiatement du saint-père, de peur de lui causer une trop vive émotion ? Il nous répugnerait d’aller plus loin encore et de nous figurer l’empereur pressé d’entrer en lutte avec le souverain pontife, parce que M. Duvoisin le lui représentait comme agité, souffrant et devenu incapable de soutenir une discussion. Certes l’empereur était le dernier homme qui eût besoin de prendre contre qui que ce fût un si misérable avantage. Quoi qu’il en soit des motifs qui amenèrent à Fontainebleau ce visiteur inattendu. Pie VII l’accueillit avec une évidente satisfaction. La nuit était tombée. Le pape, ainsi qu’il en avait l’habitude, causait après son repas du soir avec les cardinaux et les évêques logés au palais, quand la porte du salon, s’ouvrant inopinément, livra passage à Napoléon. Chacun eut hâte de se retirer. « Alors Napoléon, courant vers le pape, le serra dans ses bras, lui donna un baiser, dit le cardinal Pacca, et le combla de marques d’amitié[1]. » Les conférences furent remises au lendemain ; elles eurent toujours lieu entre le pape et l’empereur enfermés tête à tête et durèrent plusieurs jours. Personne n’y fut admis, et M. Fain, secrétaire du cabinet de l’empereur, ne fut appelé, pour mettre par écrit les clauses convenues, qu’au moment où toute contestation avait cessé entre les deux augustes négociateurs. « Il est évident, écrit M. de Pradt, que l’empereur voulait en finir par un coup rapide et imprévu, et qu’il se fiait sur l’effet que sa présence, une discussion directe et son habileté personnelle produiraient sur le pape. Le prestige était encore dans toute sa force, et personne ne soupçonnait l’île d’Elbe, encore moins Sainte-Hélène[2]. » Que se passa-t-il durant ces intimes entretiens ? On ne l’a jamais su au juste. La plupart des détails publiés à ce sujet pendant les premières années de la restauration sont dénués de tout fondement. Malgré ce qu’en a écrit l’auteur de la brochure intitulée Bonaparte et les Bourbons, il est faux que, dans un mouvement de colère, l’empereur ait osé frapper le pape et le traîner par les cheveux. Ce sont là d’indignes inventions trop habituelles à l’esprit de parti. Faut-il d’un autre côté s’en rapporter tout à fait à l’archevêque nommé de Malines, qui, tout en convenant que la discussion fut souvent animée, tient à nous persuader que « les formes les plus augustes et les plus amicales furent de part et

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 310.
  2. Les Quatre Concordats, par l’abbé de Pradt, t. III, p. 2.