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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/641

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ainsi tiraillée entre la grâce et la tentation. Si l’homme ne disparaît pas entre les deux puissances qui se disputent l’empire sur sa volonté, du moins son initiative personnelle, son autonomie propre, semblent s’effacer tantôt sous la pression de la force diabolique, tantôt sous l’irrésistible impulsion de la grâce divine.

C’est ce qui fait que nulle théologie ne s’entend bien à la justice, cette chose morale qui a pour mesure propre le degré de mérite proportionnel à l’effort de volonté. La morale théologique, il faut le reconnaître, a une vertu singulière que n’a point la morale de la conscience. Derrière celle-ci et au plus profond de l’âme humaine, elle fait apparaître Dieu lui-même, le Dieu vivant et personnel qui, à un certain moment et pour certaines œuvres, prend la place de la personne humaine. Quelle foi et quelle force ne donne pas une pareille doctrine à l’agent de la puissance divine! Ce n’est plus alors la conscience et la raison qui parlent, c’est Dieu même, et non-seulement Dieu parle, mais c’est lui qui agit réellement en nous et par nous. Alors que deviennent la liberté, la responsabilité? Et quand on oppose la justice à la grâce et qu’on se permet de préférer la morale de la conscience à celle de la théologie, nos théologiens ne devraient-ils pas d’abord comprendre l’objection qui leur est faite avant de la réfuter par des textes connus de tous? Ce n’est pas seulement la justice, dans certaines de ses applications sociales, qui manque à la morale théologique, c’est le principe même de la justice, la personnalité humaine, qu’on n’y retrouve plus, ou qu’on y retrouve tellement confondue avec la personnalité divine, qu’il devient impossible à la conscience de l’homme religieux de fixer le degré de mérite de ses actes. Encore une contradiction entre la théologie et la psychologie.


II.

Voilà des spéculations bien diverses, qui toutes se ressemblent en ceci, qu’elles contredisent les enseignemens de la conscience. Toutes ne le font pas au même degré ni de la même manière. La spéculation matérialiste supprime complètement et absolument les vérités de la conscience en réduisant toutes les forces dites vitales et morales au jeu des forces physiques et mécaniques. La spéculation spiritualiste altère et dénature ces vérités en ramenant à un seul type tous les phénomènes de l’activité universelle. La spéculation panthéiste atteint les phénomènes de conscience non-seulement dans leurs caractères essentiels, mais encore dans leur racine elle-même, en absorbant partout l’être individuel dans l’être universel. La spéculation mystique les transforme en les confondant et même