Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

néreux abandon que put montrer M. de Bismarck, au sujet de la Belgique à un certain jour bien néfaste de notre histoire contemporaine. À l’instar de M. de Bismarck également, qui en 1864 prétendait rester en paix avec le roi Christian IX tout en procédant à « l’exécution fédérale » contre les duchés, le grand-maître, au commencement du XVe siècle, affirme, lui aussi, n’attaquer en rien la couronne de Pologne par ses incursions incessantes en Lithuanie, par ces fameuses « croisades » que l’ordre continuait d’organiser de temps en temps en l’honneur de la Vierge et pour le plaisir des hôtes venus de l’étranger. Le litige est porté devant le chef de tous les fidèles ; le pape flétrit en termes indignés ces scandaleuses « croisades » contre de bons catholiques, il défend aux chevaliers, sous peine d’excommunication, leurs équipées lithuaniennes, — et le grand-maître de protester avec violence contre la bulle de Rome, « bulle surprise par captation[1] ; » ce pieux moine qui avait juré obéissance filiale au saint-siège, il appelle tout à coup du pape à l’empereur ! Il n’est pas non plus de créance véreuse et de cession frauduleuse que le chef prussien ne s’empresse d’acquérir contre Jagello afin d’en faire aussitôt un sujet de revendication ; il revendique tantôt telle province en Pologne, tantôt telle autre en Lithuanie, tout en priant le roi Ladislas II de vouloir bien l’éclairer avec « la sagesse qui lui est innée, » si par hasard ou par mégarde il arrivait à l’ordre de ne pas se conformer très scrupuleusement aux stipulations convenues. Les historiens récens de l’époque qui nous occupe, un Szajnocha, un Caro, ne dissimulent pas leur satisfaction lorsque, au sortir du récit de la diplomatie cauteleuse et suffocante de Conrad de Jungingen, ils se trouvent enfin en face de son frère, le grand-maître Ulric ; ils respirent avec volupté un air purifié par le canon après s’être si longtemps attardés dans une atmosphère surchargée de « miasmes. » Combien plus fort et plus épanoui devait être à cet égard le sentiment des « manteaux blancs, » des acteurs mêmes du drame ! Le règne des « scribes » a vécu ; c’était maintenant à la vaillante et noble chevalerie de reprendre son rôle, de relever l’ordre de son abaissement profond, et de faire sentir au «baptisé de Cracovie » tout le poids de l’épée teutonique.

« On ne saurait nier, — dit à cet endroit l’historien allemand souvent invoqué dans le cours de cette étude[2], — on ne saurait nier que Jagello n’ait gardé jusqu’au bout des dispositions conciliantes ; il est également juste de reconnaître que les bases de l’arrangement proposé au moment suprême de la crise par le roi de

  1. Codex diplom. Pruss., t. V, p. 186, n° 137.
  2. Caro, Geschichte Polen’s, t. III, p. 308.