Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieur au peuple de Jagello par sa civilisation, par sa puissance, par sa richesse, par ses armes, le peuple d’Hedvige ne s’arrogea pourtant à son égard aucun droit d’aînesse et ne prétendit même pas le « diriger » dans la vie politique à laquelle il venait de l’appeler. Un article formel de la « constitution » de Horodlo réservait expressément aux a indigènes seuls » toutes les hautes positions des palatins, des castellans et des starostes, ainsi que tous les emplois inférieurs dans le pays au-delà du Niémen. Après comme avant Horodlo, la Lithuanie était un grand-duché distinct, associé seulement à la Pologne par l’union personnelle d’une dynastie commune, et elle demeura telle encore pendant près de deux siècles, jusqu’au moment où l’extinction douloureusement prévue de cette dynastie commune vint apporter de toute force une modification notable au contrat international de 1413. Ce fut l’œuvre de la célèbre diète de Lublin (1569).

A un siècle et demi de d’stance, cette diète de Lublin est à la fois un complément et un contraste de la réunion de Horodlo. Contemplons un moment la situation du royaume-uni vers la seconde moitié du XVIe siècle, alors que touche au terme de son règne le dernier des Jagellons, ce roi Sigismond-Auguste qui présente un pendant si ingénieux, si affiné, à la rude figure du premier fondateur de la glorieuse dynastie. Certes le grand fils d’Olgerd fut loin d’être un « ours tout velu, » un « chien enragé, » ainsi qu’aimaient à le proclamer les chevaliers teutoniques. Le jeune prince qui, dès son avènement au trône de Gédimin, conçut la pensée de génie de convertir son peuple et de le réunir à la Pologne, le profond politique qui a su toujours se maintenir dans un « juste-milieu idéal » entre les aspirations légitimes du monde slave et les intérêts encore plus légitimes de la civilisation occidentale, le kniaz autocrate enfin qui comprit si vite et si bien les devoirs et les fonctions d’un monarque constitutionnel, — un tel homme, quoi qu’on ait dit, ne manqua point d’une intelligence vraiment supérieure. De nombreux témoignages prouvent du reste que le fier « Sarrasin » a baissé sa tête et élevé son cœur lors du baptême de Cracovie, que sa nature a changé sous l’influence pénétrante d’Hedvige, au contact du christianisme et de la société civilisée de Pologne. Combien différent en effet du perfide et ingrat vainqueur de Keystut nous apparaît le héros de Grunwald, qui accepte avec humilité l’insolente provocation des deux glaives nus et donne une leçon de résignation et de foi aux orgueilleux chevaliers, les « serviteurs attitrés du Christ! » Combien touchant en général est le spectacle de la longanimité du roi envers les seigneurs de Marienbourg, longanimité due à l’ascendant gracieux de cette fille d’Anjou dont l’esprit pacifique inspire après elle