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les conseils de Cracovie jusqu’à la a grande guerre ! » — il inspire même les conditions peu rigoureuses de la paix de Thorn. Qu’il est attendrissant aussi, ce barbare illettré dans sa sollicitude constante pour la propagation des écoles, pour la diffusion des lumières, pour la splendeur de l’université de Cracovie ! En rapportant sa mort, les chroniqueurs l’attribuent à la « mauvaise habitude » qu’avait le roi de passer les longues heures du soir dans le bois, « pour écouter le chant des rossignols, » — et c’est là encore un trait qu’on est étonné de trouver chez l’ancien conspirateur de Krewa. Avec tout cela cependant, Ladislas II n’en garda pas moins plus d’une empreinte de son origine « sylvestre » et d’une jeunesse passée au milieu des habitans de la numa. Ses goûts n’étaient point des plus délicats : il aimait surtout les plaisirs de la chasse et de la table. « Il faut brûler un cierge à Dieu et une petite chandelle au diable, » lui échappa-t-il un jour de dire dans une circonstance solennelle, et ce mot peint d’une manière saisissante le « baptisé de Cracovie, » qui ne laissa point par momens d’avoir recours au génie des maléfices. Peu porté à l’épanchement, il rappelait souvent à ses interlocuteurs « que la parole sortait de la bouche petite comme l’oiseau et revenait grande comme le chameau. » Il péchait surtout par cette méfiance excessive qui accompagne presque toujours l’homme transplanté d’une société naïve ou d’un rang obscur dans une sphère plus cultivée et polie : on eut par exemple toutes les peines du monde à lui persuader que la chancellerie de Marienbourg n’avait pas voulu se moquer de lui alors que dans une de ses missives elle parla un jour de la « sagesse innée » du roi. Il n’est pas jusqu’à ses rapports avec Hedvige que le fils d’Olgerd n’ait ainsi parfois assombris de cette disposition soupçonneuse, et l’histoire le lui a reproché très amèrement et très justement à coup sûr. On aurait tort cependant d’y voir l’indice d’un cœur bas et méchant : chez Jagello, comme chez cet autre « Sarrasin » qu’a su créer le génie immortel de Shakspeare, c’est plutôt le défaut d’une âme humble et ingénue, persuadée de son peu de mérite et à la fois ravie et étonnée d’un bonheur « surhumain. »

Tout l’opposé d’une nature « sylvestre, » au plus haut point cultivée au contraire, élégante et « corteggianesque, » — pour employer une expression de son temps, — nous apparaît la figure du dernier des Jagellons, de Sigismond-Auguste, un vrai prince de l’époque de la renaissance. L’histoire et la poésie ont célébré à l’envi son amour tragique pour la malheureuse princesse Radziwill, bien que le souvenir de cette grande passion de jeunesse ne l’ait point toujours préservé des séductions des femmes, ses « faucons, » comme il disait avec un triste sourire. Le premier des rois polo-