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bres de la chambre haute. Tous baisent la main du monarque; le chancelier donne à l’assemblée l’exposé des questions à l’ordre du jour et lui soumet les propositions du gouvernement, après quoi les nonces demandent au roi la permission de se retirer dans la salle de leurs séances particulières. Alors commencent les délibérations animées; les débats retentissent de sentences et de maximes de liberté, de contrôle et de self-government comme on n’en entend guère dans aucun autre pays de l’Europe, car les communes de l’Angleterre elle-même sont muettes à cette époque sous la main despotique des Tudors. C’est dans une de ces diètes que le grand-connétable Zamoyski dira tout à l’heure au souverain le fameux rege, sed non impera, qui est bien la traduction anticipée de l’adage, « le roi règne, mais ne gouverne pas, » dont se targue comme d’une extrême nouveauté la science politique de nos jours. Et de même dans la question toujours pendante de la presse c’est Zamoyski encore qui, dès le XVIe siècle, résumera à peu près tous les argumens à venir par ces remarquables paroles adressées au sénat : « Vous voulez supprimer les écrits déplaisans? Vous ne ferez qu’aiguiser en leur faveur la curiosité et en hâter la diffusion. César n’a point songé à supprimer le livre déplaisant de Caton : il lui a répondu par un autre livre; faites comme César! Comment! vous tenez à vos franchises et à vos libertés, et vous voudriez enchaîner la pensée humaine! Ce n’est pas pour cela que vous êtes ici. Laissez cette triste besogne aux oppresseurs lâches et bornés qui aiment les ténèbres : les hommes libres doivent demander la lumière partout et en tout!...[1]. »

Libre, prospère et puissant vers le milieu de ce XVIe siècle, le royaume-uni n’en sent pas moins planer sur lui un malheur immense, irréparable. Sigismond-Auguste n’a point de postérité, la dynastie des Jagellons va s’éteindre avec ce roi, et la Pologne deviendra dès lors une monarchie complètement élective[2]. Rien de plus curieux, de plus poignant aussi que de voir dans les écrits du temps l’angoisse fascinante, s’il est permis d’employer une telle expression, qu’exerce sur les esprits à ce moment la perspective d’une royauté élective, d’une couronne mise périodiquement aux enchères des pacta conventa toujours nouveaux et des « franchises » sans cesse étendues. L’inconnu, béant comme un gouffre, et qui devait en effet engloutir la nation, épouvante et attire à la fois. On prévoit des dangers terribles, on les redoute ; mais on ne fait rien pour les détourner, et,

  1. Wiszniewski, Hist. lit., VII, 450.
  2. En principe, la Pologne était une monarchie élective déjà sous les Jagellons; au décès d’un roi, elle était censée élire son successeur, qui en fait était toujours le grand-duc héréditaire de la Lithuanie.