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comme telle grande nation de nos jours, on se laisse entraîner par le cri : alea jacta est!… On sent bien mieux l’urgence de régler à temps les rapports avec la Lithuanie et de dénouer une situation assez compliquée au point de vue du droit. Le grand-duché en effet constituait l’héritage propre de la maison jagellonienne ; ce n’est toujours que par l’union personnelle qu’il était jusque-là demeuré associé à la « couronne : » avec l’extinction de la dynastie commune disparaissait tout lien légal entre les deux peuples. Sigismond-Auguste tint à honneur de préserver l’avenir au moins de ce côté et de « ne pas se laisser briser l’anneau nuptial d’Hedvige. » Il commença d’abord par céder « à la république et à l’illustre couronne de Pologne » ses droits héréditaires sur la Lithuanie (1564), et tâcha ensuite d’amener les représentations nationales des deux pays à proclamer leur unité parlementaire : travail délicat, épineux même, et dont la grande diète de Lublin était appelée en 1569 à lever les dernières difficultés.

La diète fut ouverte le 10 janvier 1569 avec une solennité extraordinaire. Le pape, l’empereur d’Allemagne, le roi de Suède, le grand-duc de Moscou et jusqu’au sultan et au grand-khan de la Tatarie y avaient envoyé leurs représentans, et dans la longue liste des sénateurs et des nonces on rencontre presque tous les noms célèbres de l’histoire polonaise. Le vice-chancelier du roi, qui avait préparé les travaux de l’assemblée et eut à soutenir presque tout le poids de la discussion au nom du gouvernement, fut un Krasinski, un ancêtre du poète anonyme, l’auteur contemporain de l’Iridion et des Psaumes[1]. Les débats furent longs, orageux et plus d’une fois prorogés par de véritables sécessions de la part des Lithuaniens. Ce n’est pas que ces derniers aient jamais pensé à rompre l’union : elle était indissoluble. Elle était même alors plus que jamais commandée au pays de Gédimin par le voisinage menaçant de ce tsar de Moscou qui s’appelait Ivan le Terrible ; mais les Radziwill, les Paç, les Chodkiewicz, les Wollowicz, les opulens magnats lithuaniens en un mot (à l’exception toutefois des princes Czartoryski et des princes d’Ostrog), tenaient à un « particularisme » qui leur assurait une influence prépondérante sur les affaires du grand-duché et une situation exceptionnelle dans le royaume-uni. Moins intéressée que ces « potentats d’au-delà du Niémen » et fanatiquement attachée « aux libertés polonaises, » la petite noblesse lithuanienne redoutait cependant, elle aussi, cette unité parlementaire qui cachait des périls pour une au-

  1. Voyez la Revue du 1«" janvier 1862 (la Poésie polonaise au dix-neuvième siècle et le poète anonyme).