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d’un seul? » dit Sigismond le Vieux, le père de Sigismond-Auguste, au moment où on vint lui offrir les deux couronnes de Hongrie et de Bohême, qu’il refusa. Un successeur des grands-maîtres teutoniques, un ancêtre de Frédéric II, celui que les Prussiens nomment le grand-électeur, écrivait en 1655 à l’empereur Ferdinand III : « La Pologne a toujours préservé l’Allemagne des irruptions des barbares en se jetant au-devant d’eux; elle s’est montrée une voisine commode à tous les états qui l’environnent, n’attaquant et n’opprimant aucun d’eux, contente de ses frontières et laissant à chacun son bien[1]... » Pendant toute son existence en effet, on voit ce peuple défendre constamment le christianisme, la civilisation occidentale contre leurs plus dangereux ennemis, ne demandant rien à l’Europe en échange des services rendus, ne prétendant à aucun salaire, ne s’étonnant même pas de l’ingratitude, étonnant plutôt les politiques, les habiles, par des élans chevaleresques parfaitement en désaccord avec l’intérêt bien entendu. Louis XIV ne comprit rien à l’expédition de Sobieski, à l’empressement que mit la Pologne dans la défense d’un état chrétien qui, la veille encore (sous Jean-Casimir), avait médité son partage. C’est que la Pologne a toujours appris à mettre la cause de la chrétienté au-dessus même de sa cause nationale, et à garder dans la lutte aveugle des races et des influences ce « juste-milieu idéal » que l’historien allemand a si bien reconnu chez le fils d’Olgerd. Ce juste-milieu idéal, la Pologne ne le garde-t-elle pas encore à l’heure présente, toute terrassée et lacérée qu’elle est? Les dénis de droit à Posen et à Léopol ne lui font pas entreprendre de pèlerinages à Moscou; de ses mains défaillantes et meurtries, elle s’efforce de tenir la balance toujours égale entre les aspirations légitimes du monde slave et les intérêts encore plus sacrés de la civilisation véritable. Aujourd’hui comme pendant les siècles passés, elle continue de défendre les Slaves et l’Allemagne contre la barbarie orientale : elle lutte par ses convulsions, par son agonie, et ne fût-ce que par l’exemple effrayant de ses tortures. Les conseils ne manquent pas à ce Job des nations de « maudire ses dieux et de vivre; » il ne prononce pas le blasphème, il reste sur le grabat, fidèle à la religion du devoir. Le triomphe croissant de l’iniquité n’ébranle pas son culte pour le droit, et en présence des annexions qui se font de nos jours il rappelle avec une fierté légitime le baptême de Cracovie; il pense aussi avec le naïf parlement de Horodlo que « l’amour seul fait des unions durables. »


JULIAN KLACZKO.

  1. Pufendorf, De reb. Frid. Wilh., Berol., 1659, p. 266.