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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/686

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bien toute la pauvre science de notre pompeux « droit nouveau. » La Lithuanie conserva son autonomie en entier : elle eut un ministère propre, une armée distincte, un statut spécial adapté à ses besoins et à ses mœurs, et elle garda cette indépendance administrative pendant deux autres siècles, jusqu’à la fin de la république, jusqu’à la constitution du 3 mai 1791. Ce n’est qu’à ce moment, — le moment suprême de l’existence nationale, — que le pays d’au-delà du Niémen perdit ses connétables, ses chanceliers et tout l’appareil d’une autonomie religieusement respectée par le royaume de Piast pendant tant de générations. La constitution du 3 mai fut le testament de la Pologne expirante, et la Lithuanie elle-même à ce moment demanda d’effacer jusqu’à la dernière trace de son « particularisme. » Le royaume-uni descendit dans la tombe avec « l’anneau nuptial d’Hedvige; » le « lien d’amour » noué à Horodlo ne fut que plus étroitement resserré, et c’est bien alors que l’amour apparut « plus fort que la mort. » Depuis ce temps, les potences de Wilno ont toujours répondu aux gibets de Varsovie...

Certes les habitans des vallées du Niémen et de la Wilia n’ont pas été ingrats envers ce peuple de Piast qui, au XIVe siècle, leur avait apporté l’Évangile, la civilisation et la liberté. Sans parler des holocaustes sanglans, des tourmens indicibles par lesquels ils ne cessent de témoigner jusqu’à l’heure présente de leur attachement à la « foi léchite, » il est juste de rappeler qu’ils ont donné à la patrie commune plus d’un nom illustre, plus d’une gloire nationale : ils lui ont donné des capitaines comme Chodkiewicz, des hommes d’état comme les Czartoryski, des martyrs du droit comme Reytan, des héros légendaires comme Kosciuszko, des poètes comme Miçkiewicz. C’est aussi la dynastie lithuanienne, ce sont les Jagellons qui ont surtout imprimé au royaume-uni sa politique de tout temps loyale, honnête et généreuse, — son plus beau titre à l’estime de la postérité. La Pologne à coup sûr n’est point sans reproches devant le jugement sévère de l’histoire : elle a montré une inertie immense, une insouciance frivole, un laisser-aller honteux dans la conduite de ses affaires intérieures. Elle n’expie que trop cruellement, hélas ! ces fautes indéniables ; mais dans ses relations internationales, dans ses rapports avec les autres états, elle a toujours fait preuve d’un désintéressement, d’une magnanimité presque sans exemple dans les annales de l’Europe. Elle demeura étrangère à la convoitise, pure de tout agrandissement injuste au milieu des rapacités universelles, et alors que ni les occasions ni les moyens ne lui manquèrent pour rectifier ses frontières ou s’inventer des missions providentielles. « Pourquoi chercher à dominer plusieurs peuples quand il est déjà si difficile de faire le bonheur