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philologie, d’histoire et d’historiettes. Il fut, pour tout dire en un mot, un des prédécesseurs de Montaigne. L’œuvre bigarrée de cet illustre inconnu jette une lumière vive et gaie sur les révolutions de Genève avant la réforme. Quand on l’étudie de près, si le héros diminue, l’écrivain grandit, et c’est tant mieux pour notre siècle, qui a plus besoin d’anciens écrivains que d’anciens héros.


I.

Genève, au commencement du XVIe siècle, était une ville de combats, d’affaires et de plaisirs. Debout sur les deux rives du Rhône, moins peuplée qu’aujourd’hui, mais plus vaste peut-être, elle offrait l’aspect d’une place forte entourée d’ennemis. Du côté du lac, elle avait enfoncé dans l’eau des rangées de pieux entre lesquelles chaque soir on tendait des chaînes; du côté de terre, elle s’était flanquée de fortes tours rondes et carrées que reliaient des murs d’enceinte. Dans ces murs, ici crénelés, là couverts de toits abritant les galeries suspendues où veillait le guet, s’enchâssaient de loin en loin des maisons où s’ouvraient des fenêtres grillées. Au-dessus des remparts verdoyaient des bouquets d’arbres, des jardins potagers, des plants de vignes parmi lesquels des granges et des poulaillers prenaient un air campagnard, tandis que plus haut un fouillis de pignons, de tourelles, de clochetons, de clochers, accusaient une vraie ville. On franchissait sur des ponts-levis défendus par des herses des fossés étroits, mais profonds, avant d’atteindre les portes, que protégeaient de grosses tours armées de mâchicoulis; tout cela sentait la poudre. L’intérieur de la ville était rassurant et l’on s’engageait volontiers dans les pittoresques ruelles habitées par des gens de bien. Les maisons, se développant sur des cours et des jardins intérieurs, ne présentaient à la rue qu’une porte, deux étages de croisées, le pignon par-dessus, de côté la tourelle où tournait le virolet, l’escalier à vis; mais la porte souvent ogivale était surmontée d’un écusson, les fenêtres aux meneaux de plomb offraient parfois des verrières blasonnées, le salon, qu’on appelait « le poêle, » était plafonné en caissons, peint à fresque ou tendu de tapisseries, meublé de bois sculpté, soutenu par des poutraisons à moulure, décoré de trophées d’armes qui ne restaient pas longtemps au croc : ces chambres de bourgeois ressemblaient à nos ateliers d’artistes. Les halles, vastes portiques couverts, étaient de grands bazars; des boutiques s’éparpillaient dans tous les quartiers : autour de la cathédrale, les débitans de bimbeloterie dévote; dans les rues nobles, les apothicaires, hommes d’importance et de capacité; ils parlaient latin à leurs apprentis, siégeaient dans les conseils, où ils reçurent plus tard,