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tant de précautions et de défiances? contre quelles menaces? Contre celles du dehors et celles du dedans. Genève, cité impériale et épiscopale, avait plusieurs maîtres, par conséquent plusieurs ennemis. L’empereur placé trop haut, trop loin surtout, ne la gênait guère; il avait reconnu son indépendance sous la souveraineté d’un évêque électif; mais le pape, cherchant toujours à développer son empire, s’attribuait la faculté de nommer seul cet évêque souverain. Ce dernier, non content de ses prérogatives épiscopales, tâchait, au moyen des foudres qu’il avait en main, d’empiéter sur le temporel. Le plus dangereux ennemi, c’était le duc de Savoie; s’étant arrogé certains droits de justice, ayant installé un vidomne à Genève, il avait un pied dans la ville, et aurait voulu l’annexer à son territoire, dont elle était enveloppée de tous côtés. En ce temps-là, les cloches de la cathédrale étaient entendues de plus de Savoyards que de Genevois ; mais dans ce petit état il y avait un peuple qui voulait rester libre. Ce peuple, depuis plusieurs siècles, avait su garder ses franchises, la liberté de la commune et de l’individu, l’inviolabilité de la terre et de la maison, l’élection des magistrats, la juridiction criminelle; il était le maître de la cité. Il avait su résister à toutes les usurpations du pouvoir spirituel et du pouvoir séculier; bien plus, il avait tenu bon contre l’envahissement et l’éblouissement de cette chevalerie qui, dans beaucoup d’autres endroits, en Savoie et en Piémont, par le prestige des armes et des aventures, par l’appât des titres nobiliaires, avait abattu l’énergique indépendance des associations communales.

Ainsi Genève au début du XVIe siècle était une sorte d’état constitutionnel dominé par un évêque, gouverné par le peuple et convoité par un souverain étranger. Le duc de Savoie était alors Charles III, que ses sujets surnommaient le Bon, parce qu’il avait montré à son avènement des qualités aimables et des goûts pacifiques. Il guerroya pourtant malgré lui; deux terribles voisins qu’il n’avait pas la force de séparer, la France et l’empire, se heurtant l’un contre l’autre, risquèrent plus d’une fois de l’écraser; cependant toute sa vie il parut songer à Genève autant qu’à son trône. Il voulait les Genevois pour sujets, et il s’obstina dans cette ambition avec une opiniâtreté de violence et de perfidie qui a soulevé l’indignation de l’histoire. Contre ces attentats, le protecteur naturel des Genevois aurait dû être leur évêque, souverain reconnu, incontesté et menacé lui-même par les prétentions de la maison de Savoie ; mais Charles III était parvenu à faire nommer au siège épiscopal de Genève un de ses parens appelé Jean, fils d’un prélat et d’une courtisane ; le bâtard devint aussitôt l’âme damnée du duc. Il y eut entre ces deux princes une épouvantable émulation de tyrannie.