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L’évêque fit décapiter illégalement les meilleurs patriotes; le duc (entre autres crimes) fit enlever sur ses terres deux pauvres sires, qu’il confessa par la torture; puis, de peur qu’ils n’eussent le courage de rétracter leur confession, on les égorgea sans miséricorde; leurs corps, coupés en morceaux, furent expédiés à Genève et à Turin dans des barils scellés des armes du duc, et leurs têtes plantées sur des noyers devant le pont d’Arve.

Contre ces deux ennemis coalisés, le duc et l’évêque, que firent les patriotes genevois? Ils se tournèrent vers les cantons suisses, qui comptaient dans le monde depuis leur furieuse victoire de Morat; Genève tendit les bras du côté de Fribourg et de Berne. Un parti national se forma dans la future cité de Calvin, parti de jeunes gens un peu vifs, tapageurs, indisciplinés, mais intrépides et ne craignant ni les coups ni la mort. Ces bandes joyeuses combattaient de toute façon, souvent par de folles équipées : elles dépendaient les pendus, coupaient les jarrets des mules aristocratiques, aimaient le vacarme, battaient le rappel, s’ameutaient pour rien, attaquaient les maisons, cassaient les vitres, arrêtaient le vidomne, et s’inquiétaient peu des lois; mais elles sauvèrent Genève. C’est à la tête de ces héroïques lurons que nous trouvons les Lévrier, les Berthelier, les Pécolat et le plus admirable de ces chefs, Bezanson Hugues, un caractère antique, homme d’autorité, de sang-froid, de résolution, qui vient d’être remis en lumière par M. Galiffe après trois siècles d’oubli. Quittant sa femme, ses enfans, qu’il confiait à la république, Bezanson était sans cesse en marche; passant les montagnes en toute saison, traqué par des gentilshommes, blessé, malade, il allait toujours; à Berne, à Fribourg, il gagnait des adhérens, persuadait les cœurs, écartait les objections comme il avait écarté les hallebardes. Épuisé par cette vie de périls et de fatigues, il dut s’arrêter à mi-chemin dès sa quarantième année; il avait dépensé tout son bien pour Genève et conquis le nom de père et sauveur de la patrie, titre mérité qui vient de lui être rendu.

C’est aussi dans ce même camp que nous allons trouver le fameux prisonnier de Chillon. François Bonivard était né en 1493 à Seyssel, où vivaient son père et sa mère; les habitans du Bugey le réclament comme Bugiste. Ses parens étaient nobles, de petite noblesse, ne signant point de Bonivard; ils occupaient cependant un certain rang à la cour du duc de Savoie, et possédaient plusieurs seigneuries et quelques bénéfices ecclésiastiques. Ces bénéfices, il est vrai, n’appartenaient point à la famille, qui se les transmettait pourtant d’oncle à neveu, grâce au bon vouloir du pape. François Bonivard, fils cadet et destiné à prendre les ordres, mena d’abord longtemps la vie d’écolier. En 1510, son oncle Jean Amé lui donna