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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/696

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Une autre fois Bonivard tira le patriote Pécolat des griffes de Jean le Bâtard. Le brave prieur entra résolument dans le parti des eidgnots. On nommaitain«i ces partisans des Suisses (Eidgenossen, confédérés) qui, pour lutter contre le duc et l’évêque, se faisaient recevoir bourgeois de Fribourg. Ils avaient fondé ou plutôt restauré la confrérie de Saint-George pour résister aux mammelus ou monseigneuristes, qui tenaient pour les Savoyards. Réunis à table et banquetant chaque dimanche, sous prétexte qu’ils avaient été de longs jours en mélancolie et que le bon temps revenait, ils conspiraient après boire, portaient à leurs chapeaux des plumes de chapon, s’assemblaient « à belles torches, » allumaient des brandons, tapageaient à cœur-joie. Vivent les eidgnots! criaient les enfans. Tout en folâtrant ainsi, la plus grande partie de la ville entra dans la confrérie de Saint-George, et petit à petit quantité de Genevois devinrent bourgeois de Fribourg. Les princes furieux firent ce qu’ils purent pour empêcher cette émigration morale : ils voulaient que Bonivard agît sur Berthelier, le chef du peuple, l’âme des coups de tête et des coups de main. Bonivard répondit nettement que Berthelier était Suisse et resterait Suisse. Nous le voyons dans la même journée témoigner en plein chapitre ses sympathies pour les bourgeois, et le soir s’interposer entre les chanoines, trop dévoués au duc, et le peuple ameuté. Il était influent dans les deux camps, dans l’un par son rang et sa fortune, dans l’autre par ses opinions et ses amitiés. Le duc et l’évêque guettaient ce remuant personnage. A Turin, en 1517, il avait couru des dangers sérieux. Sans les écoliers de cette ville, ses anciens compagnons d’études, qui l’escortèrent pendant six jours, il n’aurait point échappé à la justice de M. de Savoie. Aussi prit-il peur à Genève quand le duc y vint en personne au mois d’avril 1519. Ce fut une terrible visite : les mammelus relevèrent le front, et l’évêque Jean le Bâtard devint féroce. « L’on emprisonnait, battait, torturait, faisait décapiter et pendre, en sorte que c’était une pitié. » La tête de Berthelier roula sur l’échafaud aux pieds de l’évêque. Bonivard, toujours prudent, avait gagné le large en se fiant à deux de ses amis, un gentilhomme du pays de Vaud et un certain abbé de Montheron, Brisset, qui se faisait appeler de Laconnay, du nom de son village. Ces deux bons amis lui promirent de le conduire à Montheron en habit de moine, et de là jusqu’à Echallens, qui appartenait à Berne et Fribourg; mais à Montheron ils le retinrent prisonnier sous bonne garde, lui défendant d’aller plus loin et le menaçant de le faire mourir, s’il ne renonçait pas à son bénéfice en faveur de l’abbé, qui donna 200 florins de pension au gentilhomme. Cette renonciation obtenue, Bonivard fut livré au duc et enfermé d’abord à