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Gex, puis à Grolée; son affaire alla au pape, qui la remit aux officiaux de quatre évêchés ; ceux-ci la transmirent à l’évêque de Belley, qui appela chez lui le prisonnier, et le retint huit mois encore. Après trois années de détention, Bonivard fut relâché, mais ne regagna point son bénéfice. Le pape, après la mort de l’abbé de Montheron, avait donné Saint-Victor et le reste à un Italien nommé Tornabuoni. La double prédiction de Berthelier était réalisée.

Que fit le pauvre prieur sans prieuré quand il fut libre? On l’ignore; jusqu’en 1527, on ne sait rien de lui, sinon qu’il avait fait l’année précédente un séjour à Berne et des dettes. Pendant cette disparition de Bonivard, l’évêque Jean le Bâtard était mort, laissant la place à Pierre de La Baume, un prélat point mauvais, mais faible. Après quelques nouvelles violences du duc, l’ignoble exécution de Levrier par exemple, le parti savoyard avait fléchi, les eidgnots étaient entrés aux conseils, le traité de combourgeoisie était signé avec Fribourg et Berne. Enfin arriva la prise de Rome par le connétable de Bourbon, et ce fut ce dernier événement qui servit le mieux les intérêts de Bonivard. Le pape, on le savait à Genève, était prisonnier, et le bruit se répandait partout qu’il ne restait plus un homme vivant dans la ville éternelle. Beaucoup de gens avaient intérêt à le croire, et allaient demander à l’évêque de Genève les bénéfices rendus vacans par cette prétendue Saint-Barthélémy d’abbés. L’évêque octroyait tout, et pour donner l’exemple avait commencé par s’adjuger à lui-même le prieuré de Saint-Jean, près Genève, qui était à un cardinal. On conseillait à Bonivard d’en faire autant. Tornabuoni, qui habitait Rome, devait avoir été massacré comme les autres. Bonivard n’en croyait rien, il voulut cependant profiter de l’occasion pour rentrer dans son bénéfice, et « y avoir si ferme le pied, » que Tornabuoni ne l’en pût déloger sans peine. « Je ne faisais pas grande conscience, disait-il, de désobéir au pape. » l’ex-prieur se fit donc réintégrer juridiquement par l’évêque, son parent, et par les membres du conseil, ses amis, « au possessoire de son bénéfice. » Il rentra dans Saint-Victor le jour même où l’évêque entra dans le prieuré de Saint-Jean; il y eut des soupers à ce sujet, des réjouissances et même des batailles; on ne s’égayait jamais dans le pays sans se colleter un peu. Ce n’était pas tout pour Bonivard d’avoir reconquis son titre de prieur; il fallait vivre, et à cet effet toucher les revenus de ses terres; or ces terres étaient en grande partie chez M. de Savoie. Il écrivit humblement au duc de le laisser jouir de son bien; mais le duc répondit qu’il ne le pouvait faire de peur d’être excommunié, vu que Tornabuoni était encore en vie.