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tats que nous avons pu dégager des nombreux recueils qui ont paru depuis trois ans.


I.

Comment le genre descriptif, si décrié vers la fin de la restauration, a-t-il repris faveur parmi nous, à tel point que la poésie du second empire rappelle en plus d’un point celle du premier ? Comment les curiosités, les minuties d’une école épuisée sont-elles revenues à la suite d’une rénovation qui était précisément destinée à les chasser ? Jadis méthodique et froidement ingénieuse avec Delille, Esménard, Michaud, la description, sans changer de fond, a pris aujourd’hui la forme et les allures de l’ode. Au lieu de moissonner son champ avec la régularité classique, elle fait sa gerbe suivant le mode romantique, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Les descriptifs d’autrefois disaient que tout était bon pour les vers, et mettaient en rimes spirituelles ce qui n’était fait que pour la prose ; les descriptifs de notre temps ont dit que la poésie est partout, et qu’il suffit de savoir la dégager. Combien de fois n’a-t-on pas répété qu’elle est dans l’étoile qui brille, dans le flot qui gémit, dans la fleur qui se penche, dans la goutte de rosée et dans le brin d’herbe ! Combien aussi ne devons-nous pas de lieux-communs à ces exagérations sans portée ! Parce que les descriptions étaient couvertes du vêtement lyrique, elles ont souvent passé pour de la poésie, et le procédé même du renouvellement a servi à cacher les redites. Non, le plus beau, le plus divin de tous les arts, n’est pas dans l’étoile ni dans le brin d’herbe. C’est le prendre en un sens grossier que de l’entendre ainsi. Décrire est bien quelquefois, peindre est mieux ; mais ce dont il s’agit surtout, c’est d’interpréter la nature, non de la rendre matériellement, ni de l’inventer d’après des livres. Encore faut-il que le poète ne s’attache pas toujours à la nature extérieure, qu’il sache regarder en lui-même, admirer les horizons de l’âme,


Écouter dans son cœur l’écho de son génie.


Inventer, copier ou interpréter la nature, voilà trois manières de décrire qui peuvent servir à marquer le caractère d’un bon nombre de poètes contemporains. On nous permettra d’adopter pour eux cette division, quand ce ne serait qu’en vue d’introduire un peu d’ordre dans une mêlée de talens qui par leur tempérament divers et par leur penchant à s’imiter entre eux échappent aux classifications rigoureuses. Si nous leur faisons une place suivant qu’ils aperçoi-