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comme une peinture dans son cadre ; vous connaissez cette poésie de musée. M. de Banville, dans ses recueils précédens, décrivait surtout des statues ; M. Gautier a toujours préféré les peintures aux statues et les modèles aux peintures. Il appelle cette sorte de description le poème de la femme, thème favori qu’il a reproduit en vers et en prose sous toutes les formes. Ses héroïnes ressemblent toujours à ces beautés dont la personne au prochain Salon n’aura rien de secret pour le public. M. de Banville, moins réaliste, aimant même assez à parler d’idéal, est plus à l’aise avec des sculptures. Quand on lit une de ses poésies plastiques, on se le représente volontiers comme Pygmalion devant sa Galatée, avec cette différence, je le crains, que le marbre ne s’anime pas et que l’artiste, dans son extase, prend racine ; ce n’est pas Galatée qui devient femme, c’est plutôt Pygmalion qui devient statue.

M. de Banville ne s’interdit pas une excursion sur le domaine de la mythologie érudite. Dans la pièce d’Hésiode, il y a plus que de la science, il y a la terreur sacrée et la contrition parfaite d’un vrai croyant. Dans l’Exil des dieux, il se range visiblement parmi les sectateurs de M. Leconte de Lisle.


Voici Zeus, Apollon,
Aphrodite marchant pieds nus (et son talon
A la blancheur d’un astre et l’éclat d’une rose !),
Athéné dont jadis, dans l’éther grandiose,
Le clair regard, luttant de douceur et de feu.
Était l’intensité sereine du ciel bleu.
Héré, Dionysos, Héphaïstos triste et grave,
Et tous les autres dieux foulant la terre esclave,
S’avancent. Tous ces rois marchent, marchent sans bruit.
Ils marchent vers l’exil, vers l’oubli, vers la nuit…


M. Leconte de Lisle n’est peut-être pas le seul poète contemporain dont il se soit inspiré dans les Exilés. Avec La Fontaine il peut dire :


Mon imitation n’est point un esclavage ;


mais, trop confiant dans les ressources intarissables de sa versification, il a toujours aimé à se risquer sur le terrain d’autrui, et jamais la crainte d’une dangereuse comparaison ne l’a fait reculer. Ronsard, dont il recommence si souvent l’éloge et même l’apothéose, aurait bien dû l’avertir des inconvéniens de l’imitation. C’est par là que le maître du XVIe siècle a mérité le jugement sévère de la postérité, et l’appréciation de Boileau n’est injuste que parce qu’il n’a pas fait la balance du bon et du mauvais. Ronsard a imité sans mesure et avec maladresse. Comme Ronsard pindarisait, M. Théo-