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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/740

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Combien avez-vous vu de doux rêves éclore !
Vous en souvenez-vous ?… Hélas ! j’en tremble encore.


Ces petits drames, pour être étouffés dans le silence du cœur, n’en ont pas moins leurs angoisses. Les joies ordinaires de la jeune fille deviennent ses supplices. Il faut reprendre ses parures, et ce n’est plus pour lui, se faire belle, et il ne vous verra pas rire, chanter, jouer la comédie, avoir du naturel et de la verve, et lui seul sous la fausse gaîté devinera la douleur, lui qui en est la cause. Il faut toujours sourire, quand on aurait envie de pleurer, et causer à l’infini de choses indifférentes et même odieuses pour mieux se taire sur ce qui occupe sans cesse la pensée. Quoi donc ? Est-ce de l’amour ou de l’aveu qu’il faut rougir ? la faute est-elle de croire à la loyauté des promesses ? où est en ceci l’égalité naturelle entre les deux sexes ? Chez les nations protestantes et surtout celles de race saxonne, il y a un plus juste équilibre entre le jeune homme et la jeune fille. Les protestans, pour favoriser le mariage, limitent la puissance paternelle ; la race saxonne fait aussi à ses filles une plus large part de ce principe d’indépendance qu’elle appelle le self-government. Chez nous, l’état des choses n’est pas le même : la révolution a émancipé nos fils et a laissé nos filles dans la même soumission. Un mariage était autrefois le contrat de deux familles ; une famille signant un pacte avec un jeune homme, telle est réellement la position actuelle. L’équilibre ancien est rompu : c’est aux lois de le rétablir progressivement et de rendre aux mœurs ce qu’elles leur ont ôté.

La fille du martyr des Cévennes et du soldat de la république ne cachera pas timidement sa blessure. Toute petite, elle s’annonçait hardie, entreprenante. « Ma petite lionne ! » lui disait tout bas sa mère, et ce mot faisait déjà déborder son jeune orgueil. Plus tard la lecture, les fictions et la vérité, Homère et la Bible, l’Évangile et la philosophie, ont achevé ce qu’avaient commencé en elle la nature et l’air de la liberté. Les lâches silences n’étaient pas faits pour celle qui avait salué l’amour avec cette sincérité d’enthousiasme :


Écoutez, écoutez : j’aime, je suis aimée,
Je puis vaincre la mort et braver l’inconnu ;
Mon ciel était obscur, mon âme était fermée ;
Voici : le jour s’est fait et l’amour est venu !


Le bonheur dura peu, juste le temps du malentendu de l’amour. Il se composait de sourires, de regards, du hasard de deux mains qui se rencontrent. Quoi de plus naturel quand on se croit d’accord sur le but, quand la tendresse maternelle encourage des deux côtés des espoirs légitimes, quand la présence de l’un et de l’autre sou-