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levait partout des murmures qui disaient tous la même chose ? Un mot fit cesser la méprise, au moins d’un côté.


Il paraissait heureux de ma profonde joie,
Si franchement heureux que, dans un élan fou,
Je lui jetai, semblable à la tige qui ploie,
Mes bras autour du cou.

Une larme germa d’abord à sa paupière,
On l’eût dit attendri de ce geste d’enfant.
Car il lui révélait mon âme tout entière,
Ce baiser confiant !

Puis soudain tressaillant à mon étreinte ardente,
Si pleine de candeur et d’ingénuité.
Il me repoussa presque en disant : imprudente !
Avec sévérité.

Oh ! de ce moment-là je me sentis perdue…


Il oublia cette scène et fut plus que jamais attentif, assidu. Cependant la fille et la mère firent bientôt une visite à son logis d’automne : la jeune enfant y fut reçue par sa mère à lui, à bras ouverts. Il parut ; jamais il n’avait été si beau, si jeune. Il souriait ; tout souhaitait la bienvenue à la pauvre fille, jusqu’à la chienne qui suivait son maître, et qui, en apercevant cette dernière, fit entendre un cri joyeux. Il parla beaucoup et son entretien fut charmant ; « il parle si bien, lui ! » On cueillit des roses, les plus rares, les plus précieuses de l’année, des roses d’octobre ; on fit des bouquets de verveine, de jasmin, de fleurs de grenadier ; le jardin fut dévasté. Il y avait moins de gaîté entre eux qu’autrefois ; mais la félicité profonde est sérieuse. À la fin, elle était tremblante, lui presque timide. Qui sait ? Peut-être l’aimait-il, peut-être allait-il le dire. La furtive larme qu’elle avait aperçue l’autre fois dans ses cils n’était-elle pas un signe d’espoir ? Quand elle partit, il souriait sans émotion ; pourtant il lui dit avec une douceur infinie : « À ce soir ! » Elle ne le revit que pour apprendre son malheur : l’aveu qu’elle avait espéré était pour une autre. Pour que rien ne manque aux péripéties de ce drame intime et aux succès de celui qui en est le héros, trois cœurs de femme dépendent de ce dernier. La sérénité calme de la première lui vaut sans doute d’être choisie ; la tombe est déjà refermée sur la seconde, qui n’a pu supporter sa peine ; la troisième est restée pour chanter un hymne vengeur de la souffrance. Elle est trop fière pour mourir et trop blessée pour se taire. Connaissez-vous beaucoup de vers plus francs que ceux où cette fierté s’exprime ?


Non, non, je ne suis pas de ces femmes qui meurent
Et rendent ce dernier service à leurs bourreaux,
Pour qu’ils vivent en paix et sans soucis demeurent.