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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/743

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Pour dire toute notre pensée sur le talent de Mlle Louisa Siefert, il y a quelques réserves à faire sur sa tendance à l’imitation. Que l’on choisisse dans les Rayons perdus les morceaux qui rappellent des modèles connus, on peut être sûr d’avance que le choix tombera sur ce que le volume contient de moins heureux. L’Année républicaine est pleine de souvenirs : jamais Mlle Siefert n’a été moins elle-même. Peut-être s’est-elle trop hâtée de retourner à la source pure des beaux vers, et ne lui a-t-elle pas laissé le temps de se remplir. Peut-être aussi avait-elle la première fois trop complètement répandu son cœur.

Voir, penser, sentir, ces trois mots renferment la poésie de tous les temps. Nous avons rencontré dans cet aperçu rapide des hommes heureusement doués pour saisir les contours des choses et transporter dans les paroles les vives couleurs qui sont dans les objets. Ils peignent quelquefois avec force, et décrivent toujours avec industrie. Ils sont les héritiers directs des novateurs qui ont rendu à l’art des vers le son et le coloris, et pourtant ils reviennent sans le vouloir aux petitesses de l’art que leurs devanciers avaient détrôné. Quelques-uns cependant, tenus pour idéalistes ou traités d’artistes timides, voient quelque chose au-delà de ce que perçoivent les yeux ; leur art ne se borne pas à être un modelé savant. Après ceux-ci et pour la première fois peut-être, nous avons dégagé de la foule les poètes qui veulent avec quelque justice être comptés pour des penseurs ; nés du temps présent, comme le besoin de sincérité naît des situations factices, ils manquent les uns de mesure, les autres de décision ; ils comprennent mieux qu’on ne l’avait fait jusque-là l’utilité de la science pour la poésie, mais ils tendent à confondre l’une avec l’autre, ils se défient trop du sentiment. Les derniers sont de ceux qui, ne pouvant se passer de vivre parmi les hommes, trouvent des vers qui viennent du cœur et qui y retournent. Un ancien disait que les bois sacrés étaient l’habitation préférée des amis de la Muse ; il parlait sans doute des écrivains que nous rangerions parmi les descriptifs ou les philosophes. Charles Lamb, un enfant de Londres, pensait au contraire qu’il fallait aux poètes l’habitation des grandes villes ; il songeait à ceux que nous avons appelés humains. Grands ou petits, il y en a toujours. Tout passe et tout s’épuise, excepté le cœur de l’homme ; mais le défaut du cœur est de se trop aimer, il le communique à la poésie humaine et la fait tomber dans l’excès de la personnalité. Peut-être la perfection réside-t-elle dans un juste tempérament des diverses facultés de voir, de penser et de sentir.


Louis Étienne.