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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/760

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force dans la citadelle ministérielle, et il est resté à la porte. En définitive, il est sorti de là, non sans un enfantement assez laborieux encore, un ministère qui a perdu M. Rouher, M. Baroche, M. Duruy, M. de La Valette, qui a gagné M. de Chasseloup-Laubat, le prince de La Tour-d’Auvergne, M. Alfred Leroux, M. Bourbeau, M. Duvergier. M. de Chasseloup-Laubat est le réfractaire des décrets du 22 janvier 1852, le ministre de la marine réconcilié quelques années après et le président du conseil d’état d’aujourd’hui, M. Alfred Leroux est un homme éclairé, conciliant comme vice-président du corps législatif, entendu comme financier, gardant de sa jeunesse les réminiscences et le goût du lettré ; on en a fait un ministre de l’agriculture et du commerce, M. Bourbeau est un doyen de la faculté de droit de Poitiers, avocat habile, député de 1848 revenu à la vie en 1869, La fortune est allée le chercher ainsi lorsqu’il était à Poitiers sans songer à mal pour l’amener au ministère de l’instruction publique. M. de Forcade La Roquette reste avec un air de ministre dirigeant, à moins que ce ne soit M, Magne qui dirige, à moins que ce ne soit ni l’un ni l’autre. Que signifie en réalité ce ministère et dans quelle mesure répond-il à la situation nouvelle ? On pourrait l’appeler le ministère du sénatus-consulte, puisque c’est lui qui est chargé de mettre à flot cet acte additionnel du second empire. On pourrait aussi l’appeler tout simplement un ministère de transition, et ce que nous en disons, ce n’est nullement pour diminuer ou décourager les hommes honorables qui ont accepté d’être ministres dans les conditions actuelles. Tout n’est-il pas transition aujourd’hui ? Nous avons une constitution dont les infirmités ont été constatées par le médecin le plus entendu de l’empire, et ce n’est que dans quelques jours que cette constitution anémique, mise pour le moment dans une maison de santé, retrouvera le souffle et la vie. D’ici là que sommes-nous ? quel est notre régime ? Tout est naturellement provisoire, le ministère comme la situation. Nous vivons dans l’imprévu, un peu à la grâce de Dieu ; nous passons par une période d’ambiguïté dont tout se ressent, où les choses et les hommes se combinent d’une façon assez inégale, et qui, à vrai dire, est un des phénomènes les plus curieux de ce temps-ci par ce caractère particulier de confusion et de disproportion qui éclate un peu partout.

Il faut s’élever plus haut. Ce qui se passe depuis quelque temps en France est étrange en effet, et prouve bien qu’il y a des momens où le monde marche tout seul. Ce ne sont pas dans tous les cas les hommes qui le gouvernent par la fermeté supérieure de leur impulsion, par l’éclat de leur initiative. Les hommes sont médiocres et faibles, la force des choses est irrésistible, les situations ont une logique imperturbable qui plie les volontés, déconcerte les calculs, ramène dans son courant les timidités et les impatiences, ceux qui ne veulent pas marcher et ceux qui veulent marcher trop vite. La force des choses aujourd’hui,