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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/761

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REVUE. — CHRONIQUE.

c’est ce mouvement qui s’est emparé de la France, qui a déjoué toutes les combinaisons et qui est allé en grandissant jusqu’au jour où il s’est imposé aux esprits les plus modérés, au gouvernement lui-même. D’où est né ce mouvement ? On l’interprétera comme on voudra. On peut le considérer comme une réaction contre les fautes accumulées de toute une politique, on peut y voir le réveil naturel et viril d’un esprit public longtemps assoupi ; si l’on veut être plus simple et tout aussi juste, on fera la part de ce phénomène invariable de l’avènement d’une génération secouant un passé auquel elle est étrangère pour se faire une place dans l’avenir. Toujours est-il que le mouvement existe, qu’il s’est propagé avec la rapidité et l’intensité d’une contagion, qu’il a été reconnu et accepté comme le point de départ inévitable d’un ordre nouveau, et ce qui n’est pas moins certain aujourd’hui, c’est que toutes les politiques se sont visiblement trouvées prises au dépourvu en face de cette évolution qui a quelque ressemblance avec cette opération, toujours délicate, que les tacticiens de chemin de fer appellent un changement de voie. Les hommes, les partis, ont quelque peu battu la campagne ; ils sont tombés dans un vrai désarroi qui serait presque amusant, si on ne jouait pas avec le feu, et ils en sont encore à ne plus se reconnaître. La vérité est que tout le monde a hésité là où il ne devait y avoir qu’une idée simple et nette, et que d’aucun côté n’est venue une initiative proportionnée à une situation nouvelle.

Le gouvernement est persuadé sans doute qu’il a fait tout ce qu’il fallait, et en réalité il a été le premier à se montrer incertain ; il a eu l’air d’un pouvoir surpris et déconcerté, cherchant le mot de ce qui se passe autour de lui, prêt à faire ce qu’on lui demande, mais le faisant à moitié et pas toujours avec à-propos, ayant de la peine à secouer ses habitudes et préoccupé de sauver les apparences. Il pouvait se réserver l’avantage de donner le signal de la marche en avant, et il a préféré attendre, au risque de paraître se laisser arracher des concessions qu’il n’avait pas le dessein de refuser. Il n’a pas eu l’idée de marchander au corps législatif des attributions nouvelles qui lui rendent la puissance parlementaire, et d’un autre côté, en pleine vérification des pouvoirs, il l’a prorogé jusqu’à des jours meilleurs par un acte inquiet, improvisé, échappé en quelque sorte à ses irrésolutions. Il a transigé en fait avec le tiers-parti, il a pris aux 116 les points essentiels de leur programme, et en prenant ce programme il a écarté doucement les promoteurs qui avaient fait, à ce qu’il paraît, trop de bruit, qui malgré leur modestie ressemblaient beaucoup à des conquérans, de telle sorte que du même coup il faussait compagnie tout à la fois à la majorité, qui ne demandait pas le message, et au tiers-parti, qui aurait demandé un peu plus. Il a sacrifié M. Rouher, puisqu’il le fallait, puisque M. Rouher était devenu le point de mire de toutes les hostilités, et cette force de talent que lui