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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/764

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REVUE DES DEUX MONDES.

presque toutes les victoires d’opinion parmi nous ont été des révolutions. Les progrès qu’on poursuivait se sont accomplis par des catastrophes, par des explosions qui ont eu assez souvent pour conséquence de dangereuses et inévitables réactions, justement parce que ces progrès éclataient presque à l’improviste, parce qu’ils n’étaient pas l’œuvre d’un long et patient travail. Pour la première fois aujourd’hui, nous assistons à un spectacle tout différent. Une révolution véritable s’accomplit régulièrement, pacifiquement. Le pouvoir ne se raidit pas contre le mouvement des choses ; il cède, sans enthousiasme peut-être, mais par un instinct de conservation qui garantit sa sincérité, sous la pression de l’opinion. La constitution n’est pas emportée d’un coup de vent, elle plie, elle se prête aux réformes qui en modifient l’essence, et en supposant même que le sénat durant sa prochaine session ne fasse pas tout ce qu’on lui demanderait, il y a désormais dans le pays un sentiment assez vif de ses droits et de ses intérêts, une force d’opinion assez sûre d’elle-même, pour que les mœurs publiques suppléent à ce que les lois nouvelles pourraient avoir d’insuffisant et d’incomplet. C’est maintenant une œuvre pratique de bon sens, de fermeté et de prudence. Il peut y avoir sans doute encore des oscillations, des résistances, des momens de halte ; on peut disputer sur ces frontières où se rencontrent toutes les prérogatives ; la route n’est pas moins ouverte. Nous avons franchi une étape difficile et obscure au bout de laquelle nous retrouvons la lumière avec la possibilité de reconquérir par degrés toutes les conditions d’un régime sincèrement représentatif, et quand on cherche un terrain où puissent se rallier, pour agir d’un commun accord, tous les esprits libéraux, ce terrain, le voilà ; il est assez large pour contenir tous ceux qui n’ont pas la passion des nuances subtiles ; il a été créé, défini et précisé par le sentiment public lui-même, qui semble fort peu sympathique, il est vrai, à toute révolution nouvelle, mais qui d’un autre côté ne veut pas qu’on s’arrête dans cette voie de progressive réparation où nous entrons aujourd’hui. L’essentiel est de ne pas tromper ce sentiment. C’est une garantie de sécurité pour le pouvoir et pour les partis libéraux eux-mêmes, c’est la garantie de leur influence et de leur popularité. Maintenant il faut marcher. Le gouvernement, nous n’en doutons pas, n’a nullement l’intention d’éluder la portée des engagemens qu’il a contractés par le message du 12 juillet ; il ne peut pas avoir la dangereuse pensée d’énerver la réforme qu’il s’est appropriée dans les détails d’un sénatusconsulte équivoque ou restrictif, et le sénat à son tour ne peut songer à accepter la responsabilité d’une résistance à un vœu public. Il est assurément vraisemblable que, si beaucoup de sénateurs avaient été consultés avant le message du 12 juillet, ils n’auraient pas précisément conseillé cet acte de restitution libérale ; ils n’étaient pas faits pour cela, et quelques-uns ont eu besoin d’un peu de temps pour s’accoutumer au rôle