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REVUE. — CHRONIQUE.

la gauche a manqué à tous ses devoirs, elle a « donné sa démission devant la crise ; » on ne devait pas se contenter des paroles enflammées prononcées par M. Jules Favre dans la dernière séance du corps législatif ; il fallait un acte vigoureux, éclatant. Quel acte ? Voilà ce que M. Gambetta ne dit pas ; mais par exemple il assure qu’il n’y a rien à faire de toutes les réformes « pseudo-libérales. » Pour lui, la responsabilité ministérielle elle-même n’est rien, les garanties parlementaires sont des « osselets. » Il faut faire rentrer le peuple dans la possession plénière, directe et immédiate de tous ses droits. Il faut qu’on lui donne sans plus tarder le moyen facile et praticable de se débarrasser de ses maîtres, d’infliger une sérieuse responsabilité aux fonctionnaires qui le gouvernent, au chef du pouvoir exécutif, au « premier officier du peuple. » Tout cela est d’une fort belle logique radicale. Pourquoi M. Gambetta, qui parle si haut et tance si vertement les autres, n’est-il pas accouru d’Allemagne pour faire tout ce qu’il dit ? Si ce n’est qu’une parole retentissante pour réveiller et entretenir des fanatismes de secte, ce n’est pas d’un homme public. Il n’y a qu’une chose vraie. Oui, évidemment l’opposition s’est laissé surprendre et a joué un médiocre rôle. Elle devait avoir une opinion, elle ne l’a pas eue. Elle n’a osé ni accepter franchement le message comme point de départ, de peur de s’aliéner les esprits extrêmes, ni lui déclarer ouvertement la guerre, de peur de froisser le pays toujours prêt en somme à recevoir les améliorations véritables. C’est dans ce sens qu’elle a donné sa démission, ou plutôt elle a manqué de coup d’œil et d’esprit pratique. Elle a laissé échapper l’occasion d’agir en parti politique sérieux qui met la réalité au-dessus des mots, qui fait passer l’intérêt universel avant ses préjugés et ses passions, et elle en a été immédiatement punie par l’impuissance, par le désarroi où elle est tombée, — qui eût été plus grand encore pourtant, si M. Gambetta se fût trouvé là pour la conseiller.

Ce que nous voulons en conclure, c’est qu’à ne considérer ces derniers événemens de notre vie intérieure qu’au point de vue des hommes et de leurs combinaisons, tout a été assez pauvre et assez décousu. Partis et gouvernement sont restés quelque peu au-dessous des circonstances. Les hommes n’ont presque rien fait, la situation s’est développée toute seule, péniblement, laborieusement, mais d’une façon invincible et toute pacifique. Quand on y regarde de près, c’est là un côté rassurant de cette réformation libérale de la France qui s’accomplit en quelque sorte par la force des choses, sans rien devoir à l’habileté des chefs de parti ou à quelque coup de foudre inattendu. Que le mouvement actuel se ressente dans sa marche de l’incohérence des idées et des conduites, c’est assez naturel pour qu’il n’y ait point à s’en effrayer ; c’est au contraire une garantie de plus de la consistance de ce travail qui ramène la France sous un régime de sérieuse liberté. Jusqu’ici, et c’est là notre malheur,