On peut dire hardiment que le livre est à la hauteur du sujet qu’il traite, et quel sujet ! la chaire française au moyen âge ! De tout temps, l’éloquence sacrée a tenu dans l’histoire littéraire de notre pays une place considérable. Il est même permis d’avancer, sans outrer le patriotisme, que nulle autre nation ne peut sur ce terrain, non pas même rivaliser, mais entrer en lutte avec nous. Les autres pays ont eu des poètes, des prosateurs, des historiens, des orateurs, des philosophes ; où sont leurs prédicateurs ? l’Italie a eu Dante, l’Allemagne Goethe et Schiller, l’Espagne Cervantes et Calderon, l’Angleterre Shakspeare et lord Chatam ; mais l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie ne peuvent nous montrer un Bossuet, un Massillon, même un Fléchier ou un Bourdaloue. C’est là un point acquis, un fait incontestable ; ce qui est moins évident, ce que nous tâcherons d’éclaircir, c’est que le rôle et les destinées de la chaire sacrée en France ne sont à aucune époque plus dignes d’intérêt qu’au moyen âge. Cela ne va-t-il pas paraître exorbitant ? Des prédicateurs au moyen âge ! Est-ce possible ? Qu’étaient-ils ? qu’ont-ils fait ? Sait-on leurs noms seulement ? — Ce qu’ils étaient ? Ils étaient prêtres, curés, évêques, moines, peu importe, car tous alors sans distinction répandaient à l’envi la parole divine. Ecclésiastiques de tous rangs, simples desservans ou grands dignitaires, moines vêtus de bure ou prélats couverts d’or se confondaient dans une même œuvre et dans un même élan. — Ce qu’ils ont fait ? Ils nous ont laissé après leur mort des mines inépuisables de documens précieux, et pendant leur vie ils se sont emparés des âmes, ils ont régné sur les esprits, ils ont remué les cœurs plus puissamment peut-être que ne le firent jamais les Bossuet et les Massillon, car ce n’était pas une poignée de gentilshommes ou de grandes dames qui recevait d’une oreille distraite leurs avertissemens ; c’étaient des populations entières, des foules enthousiastes, qui suivaient l’orateur sacré, qu’il s’appelât Jean de Nivelle, doyen de Liège, ou Philippe Berruyer, archevêque de Bourges, ou Foulques, simple curé de Neuilly. — Quant à leurs noms, il se peut que le public les ignore ; peut-être ne connaît-on guère ni Élinand, le moine de Cîteaux, ni Étienne de Bourbon, le dominicain, ni Jacques de Vitry, le patriarche de Jérusalem, qui, tout en prêchant sans relâche, trouva le temps d’écrire une histoire des croisades ; peut-être n’apprendra-t-on pas sans surprise que Robert de Sorbon, le chapelain de saint Louis, le créateur de la Sorbonne, que Maurice de Sully, l’évêque de Paris, le fondateur de Notre-Dame, furent aussi d’illustres prédicateurs. Chacun de ces hommes et cent autres que nous ne citons même pas mériteraient à coup sûr une étude particulière ; mais nous ne pouvons ici faire des biographies. M. Lecoy