Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/820

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Marche, en ce genre, ne laisse rien à désirer. Autre est notre devoir. Ce ne sont pas des personnes que nous devons mettre en lumière, c’est l’œuvre qu’il s’agit de tirer de l’ombre, et dans l’œuvre, non pas les beautés de détail, — nous perdrions notre peine, car les sermons du moyen âge se comptent par milliers, bien qu’il nous en manque, et peut-être des meilleurs, — non, ce qu’il nous faut dégager, ce sont les grandes lignes et les grands résultats. Encore une fois, nous ne voulons pas ressusciter des renommées individuelles; nous voulons rendre à notre histoire littéraire un de ses titres de gloire, en montrant que la chaire sacrée au moyen âge offre un sujet d’étude aussi vaste que fertile, et que son histoire en ce temps-là, c’est l’histoire à la fois de l’art oratoire, de la langue française et de la société tout entière.


I.

Est-il besoin de rappeler que, la barbarie une fois triomphante et le forum devenu muet, la chaire fut le dernier refuge de l’éloquence, et que, sans la parole sacrée, l’art de bien dire se fût perdu dans l’oubli? Dussent tous les fanatiques de l’antiquité se révolter contre une assimilation irrévérencieuse, les pauvres prédicateurs du moyen âge n’en sont pas moins les seuls héritiers des fameux orateurs de la Grèce et de Rome. L’héritage n’est pas complet; il s’est amoindri en route, peut-être même un peu dénaturé; la transmission pourtant demeure incontestable, on en suit à travers les siècles les périodes successives : non que dès l’aurore du christianisme les apôtres aient été, pour vaincre les faux dieux, chercher leurs armes dans l’arsenal de la rhétorique païenne. Ce n’était pas avec des métaphores ou des balancemens de phrases que les premiers confesseurs de la foi prétendaient entraîner les âmes. Leur prédication n’est ni une argumentation ni une controverse : c’est l’affirmation ardente, irrésistible, des vérités qu’ils ont puisées à une source divine. Ils ne soutiennent pas une thèse, ils imposent un dogme; ils ne discutent pas, ils révèlent; ils ne raisonnent point, ils prophétisent. Tel est le caractère de la prédication naissante. Organe d’une inspiration divine, elle emprunte aux dogmes qu’elle proclame je ne sais quelle empreinte d’infaillibilité. C’est d’eux seuls et non d’une science humaine qu’elle tire une autorité suprême. Que pourrait la logique là où il faut que la raison même s’incline? Quel raisonnement humain pourrait démontrer des vérités surhumaines ? S’il s’agit au contraire de questions pratiques, de prescriptions morales, de règles de conduite, d’interprétation de doctrines, alors seulement peuvent être