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pour la danse cette passion traditionnelle dont les étrangers ont voulu faire notre trait caractéristique. Ils s’y livraient avec fureur; ils dansaient jusque devant les églises, jusque dans l’enceinte sacrée, jusque dans le cimetière, témoin l’histoire de la mairesse de Vermenton. Un jour elle s’en vient avec ses compagnes danser devant le parvis à l’heure de la messe. Le curé indigné accourt avec ses fidèles, il veut faire des remontrances : autant en emporte le vent. Alors il saisit le voile de celle qui conduit la ronde; mais, ô confusion pour la malheureuse ! le voile reste aux mains du curé et avec lui tout l’édifice de la coiffure et tous les faux cheveux : l’enragée danseuse demeure la tête dépouillée, en proie à la honte et à la risée. Voilà, semble dire le prédicateur, voilà où mène la passion de la danse. Bien plus : elle conduit même à la mort la plus épouvantable. Oyez plutôt la catastrophe du château de Sury-le-Comtal. Le châtelain, qui était le comte de Nevers, au moment de partir pour la croisade, donna une fête en son manoir; si fort et si longtemps les invités dansèrent qu’à la fin le plancher s’écroula, écrasant de ses débris bon nombre des imprudens qui se livraient ainsi le jour de Noël à ces plaisirs sacrilèges : exemple frappant assurément de la lourdeur des danseurs ou de la fragilité des planchers au XIII-siècle.

Ailleurs encore, le tableau change : ce sont les marins qui passent sous nos yeux. Avec l’orateur sacré, nous entendons leur rude et caractéristique langage; nous les suivons sur les flots et au port, dans leurs aventures, dans leurs dangers, et aussi dans leurs excès et dans leurs pirateries. Puis ce sont les étudians qui défilent à leur tour : classe nombreuse et puissante alors, source abondante de prospérité et de gloire pour notre patrie. De tous les coins de l’Europe, on s’en vient étudier à Paris les arts libéraux et la théologie. Les écoles regorgent, et chaque jour en voit naître de nouvelles. Aussi que de rivalités entre les docteurs séculiers ou réguliers, que de querelles, que de disputes, que de pugilats scolastiques! « Qu’est-ce que ces luttes de savans, s’écrie un chancelier de l’université de Paris, sinon de vrais combats de coqs qui nous couvrent de ridicule aux yeux des laïques? Un coq se redresse contre un autre et se hérisse,... il en est de même aujourd’hui de nos professeurs; les coqs se battent à coups de becs et de griffes, l’amour-propre, a dit quelqu’un, est armé d’un redoutable ergot. » Nous assistons aux cours, trop souvent interrompus par les troubles, par les conflits incessans que suscitent à tout propos l’indépendance et les privilèges des étudians. Nous faisons connaissance avec ces dominicains dont la redoutable concurrence enlève à l’Université les meilleurs de ses élèves, ou avec ces jeunes docteurs, ces néophytes, comme les appelle Jacques de Vitry, qui pour se rendre célèbres emploient tous les