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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/837

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sines, lices pacifiques où se pressent, comme une vaste fourmilière, les commerçans de tout pays. Il appelle solennellement la bénédiction céleste sur ces réunions, ménagées par la Providence pour servir de lien aux peuples : car, c’est Humbert de Romans qui parle, « Dieu a voulu que nulle contrée ne pût se suffire complètement à elle-même, et que chacune eût besoin de recourir à d’autres, afin qu’elles fussent unies par des rapports d’amitié. » Là, il rappelle à tous les préceptes de la religion et de la vertu, il prêche aux malheureux l’esprit de résignation, aux heureux l’esprit de charité. Sans s’éloigner de sa demeure, chaque matin et chaque soir, il se mêle sur la place publique aux groupes des journaliers qui attendent là qu’on vienne les engager ou leur distribuer leur salaire; il cause fraternellement avec eux; il ranime leur courage, il adoucit leurs peines, il secourt leurs misères, il ne les quitte point sans avoir fait pénétrer quelque lumière dans ces âmes incultes, mais non rebelles.

C’est que, pour les petits et les misérables, l’église a plus d’amour que de sévérité, c’est qu’elle est non pas seulement leur institutrice et leur juge, mais encore, mais surtout leur protectrice et leur mère. Ceux qu’elle poursuit sans miséricorde, ce sont les grands, les puissans du jour. Pour ceux-là, elle n’a pas d’indulgence, elle n’a qu’une justice inexorable. Avec quelle ardeur, avec quelle énergie les sermonnaires prennent le parti des faibles contre les forts, des opprimés contre les oppresseurs! Avec quelle virulence ils s’acharnent après les officiers seigneuriaux ou royaux, légistes, prévôts, bedeaux, baillis! Ce sont des « corbeaux d’enfer» qui s’abattent à la curée sur le pauvre peuple, ce sont des sangsues insatiables qui épuisent jusqu’à la dernière goutte de sang leurs malheureuses victimes. Les légistes, qui remplissent les villes, les bourgs et jusqu’aux villages, sèment partout la discorde et l’inimitié, aigrissent les haines, suscitent les procès, puis, vendant leur conscience et leur honneur, ils font citer les parties en cinq ou six endroits à la fois pour profiter de leur absence forcée; ils subornent de faux témoins; en un mot, ils consument la fortune des familles. « Pour extorquer, ce sont des harpies; pour parler avec les autres, des statues; pour comprendre, des rochers; pour dévorer, des minotaures. » — Quant aux prévôts, aux bedeaux, aux baillis, chaque jour ils inventent des moyens diaboliques de pressurer la gent taillable. « Seigneur, dit à un comte l’un de ses baillis, si vous voulez m’écouter, je vous ferai gagner chaque année une fortune. Permettez-moi seulement de vendre le soleil sur vos terres. — Comment cela? fait le comte surpris. — Sur toute l’étendue de votre domaine, il y a des gens qui font sécher et blanchir des toiles au soleil. En prenant douze deniers par toile, vous aurez une