parce qu’elles ne peuvent pas leur résister; mais ils se gardent bien d’attaquer ceux qui sont armés et disposés à la lutte. Aigles rapaces, ils se jettent sur les biens des défunts, et veulent avoir la mainmorte, pour ajouter à l’affliction des affligés, c’est-à-dire des veuves et des orphelins. »
C’est Jacques de Vitry, le patriarche de Jérusalem, qui prononce en chaire cette virulente diatribe. Il n’est pas seul à combattre la violence et la tyrannie. Les prédicateurs ses contemporains remplissent tous avec la même énergie ce devoir périlleux. Les seigneurs n’entendaient pas toujours raillerie; ils recevaient brutalement les réprimandes, et, comme ils n’étaient pas forts sur l’éloquence, c’était par des violences qu’ils ripostaient aux admonestations. Il est de mode aujourd’hui de représenter l’église au moyen âge comme investie sans conteste d’un suprême pouvoir. On en fait une sorte de souveraine universelle, imposant son bon plaisir à la société obéissante. M. Lecoy de La Marche semble donner lui-même dans ce préjugé. « Les délégués de la cour romaine, nous dit-il, gouvernent tout autant que les princes auprès desquels ils sont accrédités. » En théorie, cela peut paraître vraisemblable; en fait, au XIIIe siècle du moins, cela est exagéré. Si l’on ne veut parler que de l’autorité morale, nous en tombons d’accord, celle-là, l’église la possède tout entière. En principe, le pape, représentant de Dieu sur la terre, est au-dessus des rois, et ses ministres, à tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, participent à cette supériorité quasi métaphysique; mais l’autorité positive, celle qui agit et qui s’impose parce qu’elle est la plus forte, elle est aux mains des princes et des seigneurs. Ils ont leurs gens d’armes, ils ont leurs châteaux, ils ont la force enfin, et ils en usent. Malheur à qui les offense! ce n’est pas une robe de prêtre qui peut arrêter leur courroux : l’histoire est là pour dire qu’ils ne se gênaient guère pour assassiner un légat ou pour jeter un évêque dans un cul de basse-fosse. Il y avait donc vraiment quelque courage chez les sermonnaires à braver ainsi en face des gens d’autant plus capables de se venger que ceux qu’on attaquait étaient nécessairement les plus violens, les plus injustes et les plus tyranniques.
Certes il est bien vrai qu’en plus d’un cas l’orateur sacré plaide en partie pro domo sua, il est bien vrai que les droits de l’église violés et foulés aux pieds contribuent à enflammer son indignation. Les paroles de Jacques de Yitry, par exemple, portent la trace évidente de ce sentiment, et en thèse générale il est aisé de comprendre que l’église vît d’un œil défiant ces petits potentats toujours prêts à la dépouiller. Pourtant, chez Jacques de Vitry comme chez ses collègues en prédication, ce sentiment n’est que secondaire.