Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment abuser, s’il n’était exercé par des hommes pour qui les prescriptions du code d’instruction criminelle sont une inexorable loi. L’interrogatoire est rapidement mené, car la foule attend à la porte, et les heures passent vite. Sauf un inculpé intéressant qui de loin en loin apparaît devant le substitut, ce qu’on voit là est le ramassis de toutes les misères et de tous les vices : vagabonds, mendians, escrocs, tapageurs, filles à demi folles, fâcheux garnemens de toute espèce et de toute venue, insoumis de toute origine. C’est l’inverse du tonneau des Danaïdes; on a beau les jeter à la police correctionnelle et dans les prisons, on en retrouve toujours autant, sinon plus. Cette mauvaise herbe pousse sur le pavé de Paris comme l’ivraie dans les champs abandonnés. Un juge qui a habité l’Algérie me disait : « Ce sont des sauterelles, ils gâtent tout et ne servent à rien. » Il y en a de fort jeunes encore qui déjà ont une telle habitude du petit parquet qu’ils y arrivent comme chez eux; ils entrent, s’assoient, regardent autour d’eux pour voir si rien n’est changé depuis leur dernière comparution, répondent sans qu’il soit besoin de les interroger, signent le procès-verbal, et s’en vont en disant : Au revoir ! — Du reste, les questions et les réponses varient peu. — Pourquoi couchez-vous dehors? — Je n’ai pas d’ouvrage. — Pourquoi avez-vous frappé les agens? — Je ne sais pas, j’étais ivre. — Pourquoi vous êtes-vous enfui de chez le marchand de vin sans payer? — Je ne sais pas, pour rire. — Et ainsi depuis le matin jusqu’au soir. Parfois on se trouve en présence d’une vieille femme que l’alcool, la misère et le reste ont abrutie. Il n’y a pas à craindre que celle-là réponde : Je ne sais pas ; au contraire, elle sait tout, ce qu’on lui demande et ce qu’on ne lui demande pas. C’est une écluse dont on a levé les vannes; le flux de paroles coule d’une façon monotone et régulière. Elle n’écoute pas ce qu’on lui dit et croit répondre parce qu’elle parle. Rien ne l’arrête, ni les observations ni les menaces. Au bout d’une demi-heure de ce verbiage, on la renvoie au dépôt, et elle s’éloigne, grognant, grondant, parlant toujours et se plaignant qu’on n’ait pas voulu entendre ses explications.

Lorsque le délit reproché est insignifiant, l’inculpé est immédiatement mis en liberté avec quelques bons conseils, dont le plus souvent il ne tiendra compte. Si au contraire le délit est grave, formel, s’il tombe sous l’application de l’un des articles du code, s’il est avoué par l’individu qui l’a commis, ce dernier est traduit sans délai en police correctionnelle. La loi du 20 mai 1863 impose aux magistrats l’obligation de faire passer tout de suite en jugement les personnes arrêtées en flagrant délit; or, que le flagrant délit soit révélé par des témoins ou reconnu par le coupable, il n’en est pas