Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/871

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment à se vanter ne s’accommode que bien difficilement avec une ardeur si âpre et si malsaine. Parfois elles tombent sur des magistrats d’humeur peu accommodante. On se rappelle ce joli mot d’un conseiller qui, présidant les assises dans une affaire très scabreuse et voyant un grand nombre de femmes installées dans le prétoire, dit : « La cause que nous allons entamer contient des détails inconvenans, aussi j’engage les honnêtes femmes à se retirer. » — Personne ne bougea, et il reprit : «Audiencier, maintenant que les honnêtes femmes se sont éloignées, faites sortir les autres. » En attendant que la cour prenne séance, on chuchote, on regarde les ornemens de la salle, les emblèmes de terreur qu’on attribue encore à la justice, le buste du souverain, l’horloge au-dessous de laquelle on lit :

Judicis humani leges posuere tribunal;
Est Deus et sonti conscia mens sceleris.


Sur la muraille, au fond même, derrière l’estrade où siègent les conseillers et ne pouvant être vu par eux, un christ étend ses bras sur la croix. C’est là une erreur inexcusable. L’image du Christ doit être placée sous les yeux mêmes des juges, comme un avertissement sans cesse renouvelé, car elle représente un innocent injustement condamné et qui maintenant est le souverain juge.

Cependant l’accusé, accompagné de gendarmes, a été tiré de la cellule qu’il occupait à la Conciergerie; il a gravi le long escalier tournant qui aboutit directement de la prison à la cour d’assises; escorté de son avocat, il est conduit dans la chambre du conseil, où sont réunis les membres du jury, le président, les deux conseillers qui lui servent d’assesseurs, l’avocat-général et le greffier. En sa présence, on tire au sort les douze jurés qui doivent prononcer sur lui. Il peut, ainsi que le ministère public, exercer contre eux un droit de récusation qui est péremptoire. Dès que cette première formalité est remplie, l’accusé est amené à son banc. Lorsque le crime est grave, il y a toujours à ce moment une rumeur parmi les assistans, qui se lèvent, se pressent pour voir le visage de ce malheureux. Les jurés entrent ensuite un peu pêle-mêle et vont prendre leur place dans l’ordre même du tirage. De cet instant, ils ne peuvent plus communiquer avec personne, ni laisser deviner leur impression par une parole ou par un geste. Dans l’affaire de Philippe, on avait à constater la similitude de deux serviettes, dont l’une avait été trouvée chez la victime et l’autre saisie chez l’assassin; l’expert les montrait aux jurés, l’un d’eux dit : « Elles sont pareilles. » Immédiatement il fut expulsé de l’audience, remplacé par un des deux jurés supplémentaires, et l’avocat de l’accusé avait le droit,