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même temps, parmi leurs disciples répandus en tous lieux, un terrain tout prêt et comme des chrétiens presque ébauchés.

À ce moment, saint Paul entre dans le plein jour de l’histoire. Le nouvel ouvrage de M. Ernest Renan le prend au moment où il commence avec deux compagnons son premier voyage apostolique, et le conduit jusqu’au milieu de l’an 61, époque où il arrive à Rome prisonnier et appelant au tribunal de césar. Dans l’histoire entière du christianisme, ces seize années (45-61) sont celles qui comptent le plus, et qui furent les plus décisives. Elles ont consacré l’œuvre de Jésus. Ce sont aussi dans l’histoire des origines chrétiennes les années les mieux connues. Saint Paul les remplit, et leur histoire, c’est sa propre histoire. Les deux bouts de la carrière de Paul sont plongés dans l’obscurité. Nous ne savons rien de lui jusqu’à l’année de sa conversion; nous en sommes réduits à quelques vagues indications pour les temps qui suivent jusqu’à sa première mission. De même, à partir de son arrivée à Rome, il semble se perdre et disparaître dans la confusion de la grande cité. La chronologie permet seulement de le suivre jusqu’aux approches de la sanglante tragédie de l’an 64. S’il fut donc jamais légitime de désigner par un nom propre une période historique, celle que parcourt M. Ernest Renan dans son récent ouvrage, petite par la durée, plus pleine que bien des siècles si l’on pèse les événemens, est justement nommée par le grand nom qui sert de titre au troisième volume des Origines du Christianisme. La pensée chrétienne compte à ce moment de nombreux interprètes, bien que nous n’en connaissions que quelques-uns. Chaque disciple est un instrument de propagande, et les plus passifs même sont comme des échos qui renvoient en tous les sens la parole reçue. Chaque fidèle porte partout avec lui la contagion de sa foi. Qui le premier prononça le nom du Christ à Chypre, à Antioche, à Éphèse, à Corinthe, et en Italie à Pouzzoles et à Rome? Ce ne fut ni saint Pierre ni saint Paul, entre lesquels la tradition partage si injustement l’honneur d’avoir conquis le monde à l’Évangile, ce fut quelque humble disciple sans nom pour ses contemporains comme pour nous, quelque obscur artisan comme cet Aquila que Paul trouve à Corinthe quand il y met le pied pour la première fois. Tout enthousiasme est communicatif. Aux époques de fermentation et d’éclosion religieuse, la propagande est partout. La foi vraie brûle de se répandre. Le cœur déborde, les lèvres s’ouvrent d’elles-mêmes. L’esprit souffle sur les petits comme sur les grands, égale presque la bonne volonté au génie, inspire à tous les paroles persuasives et transforme les femmes les plus timides en missionnaires. On sait quels phénomènes d’exaltation et de délire sacré se produisaient dans les premières réunions des fidèles. La prophétie surabondait. Les transports extatiques arra-