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chaient aux âmes des paroles indistinctes, des soupirs, des cris, des sanglots. Une sorte de folie divine courait sur l’assemblée. On se serait cru au milieu de gens ivres ou de possédés. C’est ce qu’on a appelé la descente de l’Esprit et le don des langues. Ces crises nerveuses, qui se manifestèrent pour la première fois dans une chambre haute de Jérusalem, quelques semaines après la mort de Jésus, et qui étaient fréquentes encore au temps de saint Paul, nous permettent de juger de l’état des âmes et de l’extraordinaire besoin d’épanchement qui les devait posséder. On peut comprendre par là que la foi chrétienne compta au commencement autant d’initiateurs que de disciples. Paul cependant brille entre tous. Après le divin fondateur, qui est hors de pair, nul ne contribua autant que lui à la diffusion et à l’établissement de l’œuvre nouvelle; nul ne la conçut aussi plus largement.


I.

Le Saint Paul de M. Ernest Renan est un livre dont plusieurs détails pourront être contestés, mais dont la forte construction ne sera pas ébranlée. L’impression générale qu’on recueille de ce remarquable ouvrage est la satisfaction de trouver, au lieu de froides abstractions, le sentiment de la réalité et de la vie. Tout y est animé, la nature et les personnes. Les descriptions de lieux, quand l’auteur s’arrête à les esquisser, prennent sous sa plume un charme et un relief étonnans. On y devine l’émotion née du spectacle et du contact des choses. On sent que M. Renan est allé chercher dans les pays mêmes où Paul a vécu les traces de ses pas. Le temps et plus encore les révolutions politiques ont tout changé dans ces lieux qui furent le berceau de la civilisation et de la foi modernes. En plus d’un endroit, les ruines mêmes des cités antiques ont péri. L’inviolable nature a seule gardé sa jeunesse, et à qui sait la voir et l’entendre comme M. Renan, elle fournit des traits d’un grand prix; mais ce n’est là que le cadre du tableau. On a un plaisir plus vif encore à y voir agir des personnages animés d’une vraie vie humaine. Les acteurs que M. Renan met en scène, plus grands ou meilleurs que nous, sont cependant nos semblables. Chacun a son caractère, sa physionomie, ses passions et ses préjugés. Les querelles, les aigres disputes, les intrigues, ont place parmi ces hommes, excellens sans doute et pleinement désintéressés, mais dont l’intelligence et les vues n’ont pas même largeur, et qui ne comprennent pas de la même manière la doctrine dont ils sont les gardiens et les hérauts. Le Jésus de M. Renan paraissait à plusieurs suspendu entre ciel et terre. Il semblait qu’au point de vue de l’histoire, qui ne