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se rend le jour du sabbat à la synagogue ou à l’oratoire, et prêche aux Juifs assemblés le mystère de Jésus. Divers sentimens se partagent les auditeurs. L’étonnement et une curiosité sympathique s’éveillent chez les uns, le scrupule et la défiance chez les autres. L’apôtre revient à la charge les samedis suivans. Les passions s’avivent et s’exaltent, les scrupules se tournent en scandale et en colère; Paul persiste. L’opposition l’irrite et donne à sa parole l’âpreté de la menace et comme l’accent des vieux prophètes. Deux partis se forment. Quelques-uns se sont sentis touchés au cœur, le plus grand nombre est hostile et répond aux prédications par des huées. Paul s’adresse alors aux païens. Il leur dit que Jésus ne fait pas acception de personnes, et qu’il suffit pour être sauvé de croire et de se donner à lui. On l’écoute, il en gagne quelques-uns à sa foi. La rage des Juifs s’en accroît et se traduit en violences. Ici on lui jette des pierres, là on ameute contre lui la populace, on met en mouvement l’autorité, qu’on sait plus soucieuse de l’ordre que de la liberté individuelle, et qui commence en général par faire arrêter et bâtonner les agitateurs. Quand ils étaient plus intelligens ou mieux avisés, les agens du pouvoir refusaient de se laisser entraîner à prendre parti dans des querelles de doctrine. C’est ainsi qu’à Corinthe Gallion répondait aux Juifs qui avaient traîné Paul à son tribunal et se plaignaient de ce qu’il portât atteinte à leur loi : « S’il s’agissait de quelque crime ou de quelque méfait, je vous écouterais comme il convient; mais, s’il s’agit de vos disputes de mots, de controverses sur votre loi, voyez-y vous-mêmes. Je ne veux pas être juge en de pareilles matières. » Réponse admirable, dit très justement M. Renan, et digne d’être proposée pour modèle aux gouvernemens civils quand on les invite à s’ingérer dans les questions religieuses. Pourquoi donc écrit-il à la page suivante : « Si, au lieu de traiter la question religieuse et sociale avec ce sans-gêne, le gouvernement se fût donné la peine de faire une bonne enquête impartiale, de fonder une solide instruction publique, de ne pas continuer à donner une sanction officielle à un culte devenu complètement absurde; si Gallion eût bien voulu se faire rendre compte de ce que c’était qu’un juif et un chrétien, lire les livres juifs, se tenir au courant de ce qui se passait dans ce monde souterrain, si les Romains n’avaient pas eu l’esprit si étroit, si peu scientifique, bien des malheurs eussent été prévenus. » A quel titre et en quelle qualité le proconsul d’Achaïe eût-il fait une enquête? A titre de magistrat? Il sortait de son rôle et excédait sa compétence. En qualité de philosophe et de curieux ? Son opinion particulière était de petite conséquence. C’eût été un chrétien de plus peut-être, ce qui n’eût en rien changé l’opinion ni les mœurs. En admettant qu’il eût ordonné une instruction, à qui en eût-il confié le soin?