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A des païens éclairés? Ils eussent sans doute conclu, comme Pline le Jeune cinquante-neuf ans plus tard, qu’il n’y avait là qu’une superstition monstrueuse et détestable. A des Juifs? Ils se prononçaient assez haut et criaient tous au sacrilège. A des chrétiens? Ils eussent été juge et partie. Reprocher à Gallion de n’avoir pas compris le christianisme, c’est, semble-t-il, lui reprocher précisément d’avoir été païen. A son tribunal, il ne parut pas l’être, il ne se montra pas l’homme d’une religion ; il fut l’homme de la loi, qui connaît non des opinions, mais des actes.

La seule opposition violente que Paul rencontra donc dès le commencement de son apostolat est celle des Juifs. Elle sera implacable, et croîtra avec le temps. Cela seul atteste qu’il est le vrai continuateur de Jésus, l’héritier et l’interprète fidèle de sa pensée. Quant à la politique romaine, elle est neutre; elle ne protège ni n’attaque les chrétiens, elle les ignore. Si en plusieurs circonstances elle sévit contre Paul et ses compagnons, c’est qu’ils sont désignés comme des fauteurs de troubles, et que la cause de l’ordre public paraît en jeu. Dans ses rigueurs discrétionnaires, la question de doctrine tient une si petite place qu’à Rome, sous le règne de Claude, le nom du Christ ayant excité quelque tumulte dans le quartier juif, l’administration expulsa tous les Juifs en bloc, sans distinguer entre les partisans et les adversaires de ce Chrestus inconnu.

C’est dans les villes populeuses que le christianisme gagna le plus facilement ses adhérens. « Il germa, dit excellemment M. Renan, dans la corruption des grandes villes. Cette corruption en effet n’est souvent qu’une vie plus pleine et plus libre, un plus grand éveil des forces intimes de l’humanité.. » Quand Paul passa de Macédoine à Athènes, il sembla qu’il fût dépaysé. Au lieu de ces âmes bonnes, simples et un peu passives, il trouvait des esprits éveillés, curieux, railleurs et sceptiques. Ces Grecs, quoique dégénérés, avaient gardé de l’héritage des aïeux le goût des lettres, la subtilité d’esprit et un certain fonds de libre pensée qui les rendaient rebelles à la foi. Paul en fit l’expérience. Le discours qu’il prononça à l’Aréopage est singulier. C’est comme un essai timide et un peu gauche de superposer le christianisme à la philosophie. L’apôtre, qui prétendait se faire tout à tous, se fit Grec un jour pour parler à des Grecs. On l’écouta d’abord avec curiosité; mais, quand il en vint à la résurrection des morts, il fut interrompu, doucement moqué, éconduit. Il ne revint point à Athènes. On dirait même qu’il a perdu le souvenir d’y être venu jamais. « Ce qui caractérisait la religion du Grec autrefois, ce qui la caractérise encore de nos jours, dit à ce sujet M. Renan avec beaucoup de justesse, c’est le manque d’infini, de vague, d’attendrissement, de mollesse fémi-