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dans la sphère de l’idée pure ou des arides controverses. Il faut avoir l’âme d’un poète, j’entends ce rare don d’imagination qui permet de rendre la vie aux choses du passé. C’est en histoire la maîtresse qualité. M. Renan en est doué à un degré vraiment supérieur. On goûtera avec juste raison la variété et le charme des descriptions des lieux visités par saint Paul. Plusieurs diront peut-être qu’il y a ici un déploiement poétique excessif. Il ne paraît pas que l’apôtre voyageur ait jamais été sensible aux beautés des pays qu’il traversait. Jésus sentait la nature plus fortement et était, ce semble, en plus étroite communication avec elle. Paul a dédaigné ces spectacles extérieurs. Il a passé devant sans les voir ni en être ému. L’intensité de sa vie intérieure et l’exclusive préoccupation de son apostolat ont fermé ses yeux à ces tableaux où l’âme de Jésus trouvait de si vives images ou de si gracieuses inspirations. Dès la première génération, le christianisme prend la teinte assombrie qu’il gardera. Nul cependant ne voudrait effacer du livre de M. Renan ce luxe pittoresque, ni alléguer qu’il sent l’artifice. Il suffit qu’il n’enlève pas à la figure de Paul son juste relief.

L’ordinaire et assez excusable défaut d’un livre qui a une allure de biographie, c’est que l’auteur surfait son héros. Le saint Paul de M. Renan n’est pas plus grand que nature. J’oserai dire qu’il me paraît un peu plus petit. Je me figure d’abord saint Paul plus ferme en face de l’opposition judéo-chrétienne. Sur la seule autorité des Actes, M. Renan lui prête vis-à-vis de ses adversaires une condescendance qui touche à la faiblesse, presque à l’abdication, et s’accorde mal avec son caractère très entier et très raide. Il semble qu’on ne dise rien de grave lorsqu’on raconte que Paul, en 51, au retour de son premier voyage, a circoncis Titus à Jérusalem, et un peu plus tard Timothée; qu’en 54, au retour de sa seconde mission, il a célébré la pâque à Jérusalem en pieux pharisien; qu’en 58 enfin, après sa troisième mission, il a fait tondre à ses frais quatre pauvres Juifs, et s’est associé avec eux dans le temple à la cérémonie du nazirat. Ces faits au contraire sont très importans, espacés de la sorte dans toute la carrière active de l’apôtre. Si en effet dans toutes ces circonstances Paul s’est conduit en fidèle zélateur de la loi juive, que signifie sa polémique si ardente contre l’esprit pharisaïque des faux frères et des faux apôtres? Ne prescrivait-il pas à ses disciples d’être ses imitateurs? Jacques et ses amis ne demandaient pas autre chose. Peut-on admettre qu’à quatre reprises il se soit donné de la sorte de si flagrans démentis, et que pendant toute sa vie apostolique il ait constamment parlé d’une façon et agi d’une autre? En 51, à l’origine des débats, cela est possible à la rigueur, bien que peu vraisemblable; mais en 54, en 58, lorsque la dispute était dans toute sa force, et qu’on avait échangé des paroles qui ne s’oublient