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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/910

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admirable passage, si je n’ai pas l’amour, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante. Quand j’aurais le don de prophétie, quand je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais toute science, quand j’aurais une foi suffisante pour transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. » Les observances religieuses varient et distinguent les âges et les peuples; elles sont un principe de séparation, d’exclusion et souvent de haine entre les hommes; la foi et l’amour ont dans la nature humaine leurs sources profondes, toujours ouvertes et jaillissantes; elles sont un élément d’union et de concorde. Les rites sont affaire de formes, a dit saint Paul, affaire de formes aussi la discipline du culte et de la prière, la distinction des jours fériés, la distinction des mets, la tonsure des nazirs et les sacrifices sacrés. Qu’on pousse l’idée jusqu’au bout, on pourra dire : affaire de formes, aussi les confessions de foi au nom desquelles, en dépit de la charité, tant de passions mauvaises ont été déchaînées, tant d’attentats commis, tant de sang répandu. « La doctrine de Paul, écrit fort bien M. Renan, a été réellement libératrice et salutaire. Elle a séparé le christianisme du judaïsme; elle a séparé le protestantisme du catholicisme. » Ajoutons qu’elle contient en ses flancs l’émancipation complète de la conscience religieuse de l’humanité et le principe de la vraie communion des âmes. L’unité dans les dogmes, le culte et les pratiques, rêve plus politique que religieux, c’est l’esclavage des consciences. Les meilleures âmes, celles qui ont le plus vif sentiment du divin, sont les plus rebelles à toute espèce de joug. Celles qui s’y résignent par humilité ou par obéissance diminuent, et, selon le mot de Paul, éteignent en elles l’esprit. Le droit de chacune, c’est le libre essor vers l’infini. En supprimant entre la créature et Dieu tout intermédiaire humain, en déclarant que les observances extérieures sont stériles et sans fruit par elles-mêmes, il semble qu’on apporte à l’humanité un principe supérieur d’union. C’est ce qu’a fait Paul; par là il a jeté les bases de l’avenir. Jésus avait enseigné la religion absolue; Paul l’a dégagée des langes où on l’étouffait, et malgré mille obstacles il l’a plantée parmi les hommes. Moins Juif que Jésus, mais plein de sa pensée plus que tous les autres apôtres, il est le fondateur conscient de la religion universelle. Tous ceux qui ont revendiqué et revendiqueront jamais la pleine liberté spirituelle des enfans de Dieu, qui ont cherché ou chercheront jamais à élever à la hauteur d’un dogme et du seul dogme véritable la tolérance, la paix entre toutes les âmes pures et sincères, la réconciliation des esprits dans l’amour désintéressé de l’idéal, relèvent de Paul.


D. AUBÉ.