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quelque disposé qu’il fût à leur plaire, il était bien contraint d’avouer qu’ils exigeaient plus qu’on ne pouvait raisonnablement leur donner. En réalité, parmi ceux qui depuis vingt ans demandaient avec tant de violence la liberté d’enseignement, beaucoup ne la voulaient que pour eux, et le monopole ne leur déplaisait que parce qu’il était en d’autres mains. Tout le monde sait que l’église réclame le droit exclusif d’enseigner. Elle ne fait pas du reste un mystère de ses prétentions; elle les expose ouvertement dans les ouvrages de doctrine qu’elle publie; elle les écrit dans les concordats qu’elle signe quand elle est la maîtresse. Dans tous les pays où elle règne, elle se réserve de donner l’instruction ou de la surveiller. Loin d’accepter jamais le contrôle de l’état sur ses écoles, elle prétend imposer le sien à toutes les autres. C’est seulement quand elle ne peut pas dominer qu’elle se résigne au partage et à l’égalité, sans rien abandonner jamais de ses principes. Il est probable qu’en 1850 le moment semblait bon à plusieurs de ses amis pour lui rendre ses droits dans toute leur étendue. Rien ne lui était plus facile que de rétablir le monopole en sa faveur sans même l’écrire dans la loi. L’Université détruite ou irrémédiablement abaissée, la concurrence libre ne l’effrayait guère. Elle connaît sa force et ses ressources; elle sait bien qu’en notre pays, où l’initiative privée a si peu d’énergie, elle finira toujours par avoir raison de quelques efforts isolés. C’est elle en somme qui a le plus profité de la loi de 1850. La population des établissemens libres laïques ne s’est pas beaucoup accrue en quinze ans; elle est restée à peu près ce qu’elle était en 1854. Au contraire les écoles ecclésiastiques, qui n’avaient alors que 20,000 élèves, en comptaient 34,000 en 1865, et ce nombre s’est accru depuis[1]. L’église pouvait donc croire sans témérité en 1850 que, si on la délivrait de la concurrence de l’état, elle finirait par absorber tout le reste : d’où l’on doit conclure, comme j’ai eu déjà l’occasion de le dire, qu’aujourd’hui la résistance de l’Université à l’enseignement ecclésiastique empêche seule le monopole et conserve la liberté. C’est là sa principale raison d’être; c’est ce qui la maintiendra, je n’en doute pas, contre les attaques passionnées de ceux dont elle entrave les projets et contre les aveugles défiances de ceux qu’elle protège malgré eux.

L’Université avait beaucoup plus de raisons que le clergé d’être mécontente de la loi de 1850. Non-seulement cette loi la dépossédait d’anciens privilèges, mais elle la traitait en suspecte, et créait 86 recteurs pour la surveiller de plus près. Dans la discussion, qui fut très violente, on ne l’avait guère épargnée, et le ministre de

  1. Si l’on joint à ce chiffre les 20,000 élèves des petits séminaires, on trouvera que la population des établissemens ecclésiastiques était en 1865 de 54,000 jeunes gens. Les lycées et les collèges de l’état en contenaient à la même époque 61,000.