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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/921

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grave et dont on s’aperçut vite, c’est qu’elle n’apportait aucun remède au mal qu’elle prétendait guérir. Elle était faite, à ce qu’on disait, pour satisfaire les jeunes gens à qui l’ancienne instruction classique ne pouvait plus convenir; en réalité, la nouvelle ne leur convenait pas davantage. Ces enfans de familles moins aisées, qui se sentent pressés par la vie, qui sont forcés de se préparer de bonne heure pour le commerce et l’industrie qui les réclament, ne se trouvaient guère mieux du nouveau système que de l’ancien, et il leur était difficile d’entrer dans l’engrenage de la bifurcation, qui leur aurait demandé sept ans pour être entièrement parcouru. Il leur fallait autre chose que ce majestueux ensemble de connaissances que le plan de M. Fortoul leur offrait. Ils demandaient un cours d’études rapide et complet qu’on pût achever en quatre ou cinq ans, et on les a contentés depuis en créant pour eux l’enseignement spécial. Voilà donc toute une catégorie de gens pressés qui ne pouvaient pas s’accommoder des lenteurs de la bifurcation, et c’était pourtant dans leur intérêt qu’on l’avait faite. Restaient les aspirans aux grandes écoles, les fils de riches banquiers et négocians qui ont plus de temps à donner à ces études de luxe et de loisir où se forme un jeune esprit; mais ce n’étaient pas ceux qu’il importait de délivrer de l’ancienne instruction classique. Les plus sages d’entre eux ne le souhaitaient pas, et, comme ils sont destinés à occuper les hautes situations de la société, on leur rendait un mauvais service en diminuant pour eux l’éducation littéraire. M. Fortoul avait cru faire merveille en réunissant les deux sections dans les classes du soir. Il attendait des prodiges de l’émulation qui allait s’allumer entre elles. Il ne résulta de ce mélange qu’embarras et confusion. L’enseignement pour être efficace doit s’accommoder à la nature des élèves; les professeurs s’aperçurent bientôt qu’ils ne pouvaient point apprendre de la même façon l’histoire et le français à des jeunes gens dont les études antérieures, les occupations, le tour d’esprit, étaient différens. Forcés de choisir, ils s’adressèrent de préférence à ceux de la section des lettres, qui étaient les mieux préparés; les autres cessèrent d’écouter des leçons qui n’étaient pas faites pour eux.

Le système était donc mauvais et devait périr. Ce qui en précipita la chute, c’est qu’il ne fut appliqué qu’à contre-cœur, et que les professeurs ne firent rien pour en dissimuler les défauts. M. Fortoul aurait dû essayer de les gagner à ses projets : le succès, après tout, était dans leur main; mais il avait l’infatuation d’un despote qui ne doute de rien, et il sembla au contraire prendre plaisir à les mécontenter. Le nouveau plan d’études faisait peser sur eux les plus lourdes charges ; elles leur furent imposées sans ménagement. Les moindres observations étaient accueillies avec une hauteur qui