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bras dont ils avaient besoin. M. Fortoul résolut de les satisfaire. Sans doute il n’était pas possible de morceler assez l’enseignement des lycées pour en faire un apprentissage particulier à chacune des spécialités qui réclamaient; mais, comme les professions diverses se groupent toutes autour de deux ordres d’études différens, les sciences et les lettres, on résolut de diviser l’enseignement en deux branches; on créa la section littéraire et la section scientifique, dans lesquelles les jeunes gens durent se répartir selon leur vocation. Cette idée, je le répète, était juste, et l’on ne pouvait pas continuer plus longtemps d’infliger l’ancienne instruction classique à ceux qui en voulaient résolument une autre. En somme, la bifurcation a moins échoué parce qu’elle séparait les élèves en deux sections que parce qu’elle voulait les réunir après les avoir séparés. C’est dans ces essais de réunion factice que se trouvaient à la fois l’originalité et l’imperfection du système. Les jeunes gens devaient suivre ensemble les cours de grammaire; à partir de la troisième, ils bifurquaient, c’est-à-dire ils entraient dans deux routes différentes, mais voisines, qui se côtoyaient toujours et se rencontraient souvent : divisés le matin pour apprendre, les uns les mathématiques et les sciences physiques et naturelles, les autres le latin et le grec, ils se rassemblaient le soir pour étudier ensemble le français et l’histoire. Tel était le principe de ce système ingénieux dont l’économie habile séduisit d’abord beaucoup de bons esprits. Le plan était admirable tant qu’il resta sur le papier, on s’aperçut, dès qu’on voulut l’appliquer, qu’il était impraticable.

Le premier inconvénient qui frappa d’abord tout le monde, c’était la nécessité où l’on plaçait les élèves de désigner à treize ans la carrière qu’ils voulaient suivre. Il y en a sans doute qui sont fixés à cet âge; mais le plus grand nombre attend la fin des études pour se décider. Ceux-ci furent très embarrassés quand on leur ordonna de choisir. Ou bien ils obéirent aveuglément aux désirs de leur famille, et comme d’ordinaire les parens écoutent plus leurs convenances ou leur ambition que les aptitudes de leurs enfans, il arriva que les vocations factices et forcées furent précisément favorisées par une loi qui se flattait de les prévenir, ou bien la famille qui ne savait à quoi se résoudre laissa l’enfant disposer de lui tout seul, et l’enfant, qui avait en général la haine des vers latins et l’horreur du grec, se décida volontiers pour les sciences, qu’il ne connaissait pas; mais là il rencontrait les mathématiques et la géométrie, qui ne sont guère plus récréatives, et après quelques mois de chiffres et de formules il redemandait les vers latins. On vit des élèves errer ainsi pendant toutes leurs classes d’une section à l’autre, et sortir enfin du collège sans avoir appris ni les sciences ni les lettres. Un autre inconvénient de la bifurcation qui n’était pas moins