Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/936

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ces faits sont passés pour jamais ; ces grands événemens ont eu leur tour sans en faire attendre de semblables; les révolutions des états et des empires ont peu de rapport à notre situation présente, et par là deviennent moins intéressantes pour nous. » Il ajoutait que le bon goût seul, qui est fondé sur des principes immuables, est le même pour tous les temps, et que « c’est le principal fruit qu’on doive faire tirer aux jeunes gens de la lecture des anciens. » Eh bien ! non ; il y a d’autres fruits à tirer de cette lecture que des leçons de goût. Nous avons vu ces grands événemens que Rollin croyait passés sans retour se reproduire sous nos yeux, et il n’est plus permis de dire que les révolutions « ont peu de rapport à notre situation présente. » Les faits que racontent les lettres de Cicéron ou les Annales de Tacite ont pris un intérêt si vivant qu’en lisant ces beaux ouvrages nous n’avons plus l’esprit assez calme pour n’y remarquer que des expressions piquantes ou des phrases bien faites. Tous ces grands hommes, quand nous les regardions à cette distance d’où l’on nous tenait d’eux dans les classes, nous faisaient l’effet de purs esprits littéraires; il nous semblait qu’ils avaient vécu dans une sorte de région calme et éthérée; depuis que nous les abordons de plus près, avec nos souvenirs personnels, à la lumière de notre histoire, nous voyons bien qu’ils ont traversé des époques troublées comme la nôtre, qu’ils ont été mêlés aux agitations du monde et qu’ils en ont souffert. L’orage ne les a pas épargnées, ces âmes qui paraissent d’abord si sereines, et elles portent chacune au cœur la blessure de la vie. Sachons la découvrir et la faire voir; retrouvons l’homme dans l’écrivain; replaçons-le, autant qu’il se peut, dans son milieu et parmi les événemens qui le font comprendre. Surtout ne nous contentons plus d’expliquer de courts extraits de ses ouvrages qui ne donnent aucune idée de son époque ni de lui-même : des morceaux isolés pouvaient suffire quand on se réduisait à ne faire sur lui qu’un travail de style; mais, pour qu’une œuvre devienne vivante, il faut qu’on puisse l’étudier dans son ensemble. Imitons les collèges anglais et les gymnases allemands, où l’on fait lire aux élèves dans une seule année des discours entiers de Cicéron et de Démosthène, des tragédies grecques et plusieurs livres de Virgile. Ils écouteront volontiers ces explications rapides qui leur feront connaître un ouvrage complet, quand elles seront animées par un sentiment vif et vrai de l’histoire, et l’on pourra ainsi arriver à reconquérir leur attention.

Cette méthode n’est pas nouvelle, et beaucoup de professeurs l’emploient avec succès. Ils ont du mérite à le faire, car elle leur demande beaucoup plus de peine et de souci que l’ancienne. Il était bien plus simple de prendre un texte isolément, de le détacher de son époque et d’en tirer la leçon générale qu’il contient : un peu