Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée est juste, loin de se perdre comme un embryon mal constitué, elle grandit par voie d’analyse ; chaque fois qu’une intelligence d’élite l’adopte pour la faire sienne et y applique ses forces individuelles, l’idée prend un accroissement nouveau. En effet, il est à peu près incontestable que la théorie du feu n’a d’abord embrassé que les phénomènes matériels les plus immédiatement perceptibles, et même que l’origine solaire du feu ne fut aperçue que plus tard. Il fallut beaucoup de temps et de réflexion pour que l’on vît en lui l’agent psychologique et qu’on lui demandât l’explication des phénomènes de la vie. C’est à l’époque védique seulement qu’il fut identifié avec le principe de la pensée : on peut en acquérir la certitude en lisant les seuls hymnes attribués aux poètes Viçwâmitra et Dîrghatamas. Enfin la grande théorie métaphysique concentrée autour du nom neutre de Brahma est postérieure à la période des hymnes. Le même travail des esprits s’accomplissait dans l’Asie occidentale, car le principe absolu des Perses connu sous le nom d’akarana ou « l’être inactif » est postérieur à la doctrine presque dualiste d’Ormuzd et Ahriman, qui l’est elle-même aux parties les plus anciennes du Zend-Avesta ; celles-ci renferment une doctrine à peu près identique à celle des hymnes indiens. Ce sont là des faits élémentaires connus de tous les orientalistes.

Il est donc historiquement impossible d’admettre que les dogmes aryens sur lesquels se sont fondées successivement les orthodoxies soient venus au monde tout formés. On voit au contraire que les faits sont ici d’accord avec l’analyse, et que l’action individuelle dans la formation des dogmes ne peut laisser aucun doute. C’est par des découvertes personnelles dont s’enrichissait successivement la communauté que se sont développées les croyances publiques. Elles portaient d’abord sur des phénomènes naturels produits soit spontanément, soit par des procédés humains : une partie des doctrines les plus antiques relatives au feu ont en vue les feux naturels ; mais du moment où l’homme put à son gré faire apparaître cet agent si puissant, il vit son existence soustraite à l’ancienne misère, et ce feu devint le principal objet de sa contemplation et de son culte. Je ne veux pas rappeler ici les cris d’enthousiasme qui échappent aux vieux poètes quand ils célèbrent la puissance merveilleuse du feu. Ces cris, chacun peut les entendre encore : il suffit pour cela de parcourir nos villages aux fêtes de la Saint-Jean et de voir au tomber du jour les danses, les éclats de joie de nos campagnards autour de leurs bûchers flamboyans. Les hymnes védiques en l’honneur d’Agni sont beaucoup plus beaux encore et plus instructifs pour nous.

En effet, la première doctrine naquit des réflexions qui furent faites sur l’extraction du feu, sur les matières dont il s’alimente